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d’abord il résista à leurs sollicitations pressantes, car sa conviction semblait profonde : « Rien ne peut nous rendre notre patrie, leur dit-il ; la civilisation dont nous sommes les représentans est sans germe dans la République Argentine ; le peuple a prononcé sur nous, c’est son vote qui nous a expulsés. » On insista ; puisque la masse de la nation repoussait l’ancien drapeau des unitaires, on l’abandonnerait cette fois ; ce n’était plus sur l’alliance de Rivera toujours perfide, toujours funeste, qu’on comptait ; c’était sur la France elle-même prête à fournir des armes et de l’argent, à envoyer ses vaisseaux, ses matelots, ses soldats, pour soutenir une cause qu’elle adopterait comme sienne. L’ame du général s’exalta encore à l’espoir de reconquérir sa patrie, à la chance de nouveaux combats, au leurre de la gloire, à l’idée si séduisante de mêler ses armes à des armes françaises, et il bondit sur sa lance. À Montevideo, il eut, le 18 mai, avec le contre-amiral Leblanc, une première et secrète entrevue à bord du brick le Sylphe ; il en revint plein d’enthousiasme. Les promesses du chargé d’affaires achevèrent de le séduire ; nous prenions pour notre compte les premiers frais de l’entreprise. Il rappela secrètement à lui ses partisans qui servaient encore dans l’armée de Rivera ; puis, accompagné d’une poignée de ses fidèles, il s’esquiva, comme un transfuge menacé d’être arrêté et saisi par l’ordre du président, sur un navire qu’il avait équipé sous main et sans l’autorisation du gouvernement oriental, dans le port même de Montevideo. De là il se transporta à Martin-Garcia, où il établit son quartier-général, et qu’il choisit comme point de réunion de son armée expéditionnaire, sous la protection de notre drapeau.

Dès-lors, le blocus ne fut plus dans les combinaisons de nos agens qu’une mesure tout-à-fait secondaire. Les espérances se concentrèrent sur le général Lavalle et ses compagnons d’armes, qui, semblables à l’étoile du Rédempteur, devaient se lever à l’orient des provinces argentines, parcourir la république aux acclamations du peuple qui leur ferait des ovations et les suivrait pour aller abattre le tyran.

Cependant ce grand évènement d’une croisade générale contre le gouverneur Rosas ne s’annonçait pas d’une manière éclatante. Vers la mi-août, Lavalle, à Martin-Garcia, ne comptait encore que quatre cent cinquante hommes sous ses ordres. C’était un ramassis de gens de toute sorte, les uns sortis des îles du Parana, les autres venus avec lui de Montevideo, auxquels s’étaient joints quelques Argentins qui, conduits par Baltar, un de leurs chefs, avaient quitté l’armée orientale où ils servaient comme volontaires, pour se ranger sous les drapeaux de leur compatriote. Cependant il conservait en apparence avec le général Rivera de bonnes relations ; mais en vain le supplia-t-il de lui envoyer deux cents hommes d’infanterie et deux pièces d’artillerie, nul secours ne lui vint de ce côté. L’amiral Leblanc, au contraire, empressé à le soutenir, mit à sa disposition, à Martin-Garcia, trois navires du blocus, la Bordelaise, l’Expéditive et la Vigilante, et plusieurs prises armées par nos marins. L’officier commandant ces navires devait effectuer le transport du corps expédi-