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las de voir la question de la Plata traîner en longueur, lui avait donné la direction des affaires politiques et militaires ; puis, par un retour sur cette première disposition, on lui avait retiré toute intervention diplomatique ; les opérations militaires seules restaient de son ressort. Ainsi le contre-amiral Dupotet demeurait forcément enchaîné à la ligne de conduite suivie jusqu’alors ; il fallait qu’il concourût aux plans du chargé d’affaires, quelle que fût sa conviction personnelle. Certes, il y avait là quelque chose de pénible pour l’amiral, car nous nous étions jetés dans des complications d’intérêts de localité où toutes les démarches n’étaient pas avouées, où certains actes occultes pouvaient ne pas convenir à toutes les consciences. Et si ces actes ne sont justifiables que par le succès, comment les jugera l’homme qui, dans sa conviction, les croira inutiles, impuissans et même nuisibles à la cause de son pays ?

La bataille de Cagancha était le premier pas vers l’exécution du traité du 31 décembre 1838, et celui qu’on considérait comme le plus difficile ; le reste semblait n’exiger que de la persévérance. Mais il fallait s’assurer la coopération du général Rivera. Notre agent espéra l’enchaîner à la parole jurée par son propre intérêt. Nous signâmes sous main avec lui une convention par laquelle nous donnions au président de la république de l’Uruguay cent mille patacons (six cent mille francs), sous la condition qu’il passerait l’Uruguay avec son armée ; que ce passage effectué, nous lui en avancerions cent mille autres, mais que, s’il manquait à ses engagemens, la première somme, au lieu d’un subside, ne serait qu’un prêt remboursable. Au flair de l’or, Rivera signa tout ce qu’on voulut, et nous lui mîmes entre les mains six cent mille fr. Laissons maintenant se dérouler les résultats de cette convention.

Au 1er janvier 1840, nous nous trouvions exactement dans la même situation qu’au 1er janvier 1839. Nos auxiliaires étaient les mêmes : c’étaient le président de l’état oriental et le gouverneur de la province de Corrientes. Nos ennemis n’avaient pas changé : vainqueurs au Pago Largo, ils avaient été vaincus à Cagancha. Nous reprenions les mêmes projets, les mêmes manœuvres ; seulement l’expérience avait jeté dans notre esprit une cruelle défiance. Rappelons le but du traité : c’était de fonder une ligue offensive et défensive entre Corrientes et la république cis-platine, de combiner les deux armées sous le commandement en chef du général Rivera, de chasser de l’Entre-Rios les lieutenans de Rosas et d’y détruire complètement son influence ; cette première partie intéressait spécialement Rivera et Ferré, mais la suite nous importait surtout : c’était de franchir le Parana, de révolutionner les provinces argentines, et de précipiter la chute de Rosas.

D’abord l’amiral Dupotet et M. Buchet-Martigny s’entendirent sur les mesures à prendre. Notre garnison de Montevideo, devenue inutile, fut rappelée à bord de l’escadre ; puis on disposa une petite division composée de cinq navires, l’Expéditive, la Bordelaise, le brick le Sylphe, les canonnières l’Églantine et la Tactique, qui partit le 8 janvier pour remonter le Parana. Sa mission était la même que l’année précédente : soutenir nos alliés, leur offrir un refuge, un appui et des moyens de transport le long du fleuve, arrêter