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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

que leur patrie n’était pas mûre encore pour les principes de haute civilisation dont ils se faisaient les représentans. Au mois de juillet 1827, le président de la république quitta son poste, et le congrès national fut dissous.

Dorrego fut élu gouverneur de la province de Buénos-Ayres. Alors l’armée de la république était occupée à repousser les prétentions du Brésil sur l’état oriental. Rosas profita de l’éloignement de la force militaire pour augmenter son pouvoir dans la campagne. Il ne pouvait point espérer de se concilier les sympathies des chefs de l’armée, lui qui n’était point soldat de l’indépendance, et qui ne trouvait que dédain chez les vétérans de la révolution ; mais il s’attacha les principaux chefs des gauchos, et par ce moyen il gagna la confiance des soldats, pour la plupart enfans de la campagne, et qui, dans leurs bivouacs, rappelaient les prouesses du héros des gauchos. Peut-être même préparait-il sourdement le renversement de Dorrego, lorsque celui-ci signa, en octobre 1828, un traité de paix avec Rio-Janeiro, et rappela l’armée.

L’armée se montra mécontente de l’ordre de choses existant. Dans ses rangs se trouvait un officier qui s’était distingué par de nombreux exploits et dans la guerre de l’indépendance et dans la guerre contre les Brésiliens : c’était le général Lavalle. Il se mit à la tête des mécontens, chassa Dorrego, et prit sa place de gouverneur de la province (1er décembre). Rosas soutint Dorrego. Lavalle courut sus à ces deux chefs, les battit à Navarro, s’empara de la personne de Dorrego, et, sans jugement, sans autre forme de procès, le fit impitoyablement fusiller. Jusqu’alors on ne s’était pas délivré de ses ennemis politiques d’une façon si cruelle, et ce premier pas dans la voie de l’assassinat a laissé une tache de sang ineffaçable au nom de Lavalle.

Rosas, Lopez et Quiroga resserrèrent leur ligue. Lavalle s’effraya, il pactisa avec le premier et crut faire un grand acte de désintéressement en signant sa propre déchéance et résignant l’autorité suprême aux mains du général Viamont, nommé gouverneur. Mais Rosas ne se servit de Viamont que pour désarmer son ennemi : ses partisans inondèrent la ville, bientôt même Lavalle ne s’y crut plus en sûreté et se retira dans l’état oriental. Puis tout à coup l’administration de Viamont cessa de pouvoir marcher ; une puissance occulte supérieure à la loi paralysait son action. Le gouverneur reconnut que Rosas ne l’avait pris que pour marche-pied : il ne voulut pas jouer plus long-temps ce rôle humiliant, et quitta volontairement le pouvoir.

L’heureux gaucho, l’homme qui, sorti des rangs des paysans, s’était élevé à ce degré de force, qu’il faisait et défaisait à son gré les gouverneurs de sa patrie, Rosas enfin fut élu pour occuper le poste suprême. Dès ce moment il s’inquiéta de consolider les bases de sa puissance. Le général Paz commandait à Cordova : homme habile, officier distingué des guerres de l’indépendance, citoyen recommandable par sa famille, par ses penchans, par ses antécédens, il se trouvait un des chefs du parti unitaire. Un pareil gouverneur de l’état limitrophe de Buenos-Ayres était incompatible avec Rosas et lui portait ombrage : celui-ci lança contre Paz les principaux chefs populaires. Au nord, Lopez de Santa-Fé