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dot que je vous offre avec ma fille. À ce prix, rendez-lui l’honneur que vous lui avez ôté. Vous n’avez pas à craindre de dégrader par là votre race, car ce que vos enfans perdraient à être mes petits-fils, ils le regagneraient à être issus de votre sang. En Castille, dit le proverbe, c’est le cheval qui porte la selle. Je vous en supplie à genoux, par mes cheveux blancs, par les pleurs que vous voyez couler de mes yeux. Pensez que ce que je vous demande comme une faveur, c’est mon honneur que vous-même m’avez ravi, pensez que je puis de mes mains en obtenir la réparation, que je ne le fais pas, et que j’aime mieux vous le devoir à vous-même.

Don Alvaro. — La patience m’échappe. Vieillard insensé, rendez-moi grace de la vie que je veux bien vous laisser après ce que vous m’avez fait, vous et votre fils. C’est à la beauté d’Isabelle que vous en êtes redevable. Si c’est par les armes que vous prétendez vous venger, j’ai peu à craindre ; si c’est par voie de justice, vous n’avez pas juridiction sur moi.

Crespo. — Ainsi donc, mes larmes ne vous touchent pas ?

Don Alvaro. — Larmes de vieillard, d’enfant et de femme signifient peu de chose.

Crespo. — Vous vous refusez à toute réparation ?

Don Alvaro. — Ne devez-vous pas vous tenir trop heureux de conserver la vie ?

Crespo. — Pensez-y bien, c’est à genoux que je vous redemande mon honneur.

Don Alvaro. — Quel ennui !

Crespo. — Pensez que je suis aujourd’hui alcade de Zalamea.

Don Alvaro. — Il ne vous appartient pas de me juger, le conseil de guerre m’enverra chercher.

Crespo. — C’est votre résolution dernière ?

Don Alvaro. — Oui, mille fois oui, insupportable vieillard.

Crespo. — Il n’y a pas de remède ?

Don Alvaro. — Le silence est le seul qui vous reste.

Crespo (se relevant et reprenant sa baguette). — Eh bien ! je jure le ciel que je serai vengé ! Holà ! (Aux paysans qui accourent.) Arrêtez sur-le-champ le capitaine.

Don Alvaro. — Vous perdez l’esprit. Cela ne se fait pas avec un homme comme moi et qui est au service du roi.

Crespo. — C’est ce que nous verrons. Vous ne sortirez d’ici que mort ou prisonnier.

Don Alvaro. — Savez-vous que je suis un capitaine en activité ?

Crespo. — Croyez-vous que je sois un alcade endormi ? Rendez-vous sans plus de délai.

Don Alvaro. — Il faut bien céder à la force ; je me plaindrai au roi de cet affront.

Crespo. — Il en est un autre dont je lui porterai plainte également. Heu-