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THÉATRE ESPAGNOL.

reusement il n’est pas loin d’ici ; il nous entendra l’un et l’autre. Remettez cette épée.

Don Alvaro. — Il n’y a pas de raison…

Crespo. — Comment ! N’êtes-vous pas prisonnier ?

Don Alvaro. — Traitez avec respect…

Crespo. — Cela va de soi-même. (Aux paysans.) Conduisez-le, avec respect, à la prison commune ; mettez-lui, avec respect, les fers aux pieds et aux mains ; empêchez, le plus respectueusement du monde, qu’il ne parle à ses soldats, pour qu’on puisse les interroger tous séparément. Et maintenant, capitaine, soit dit entre nous, si j’y trouve matière, tenez pour certain que, sans manquer à tout le respect que je vous dois, je vous ferai pendre.


Pour bien apprécier l’effet de cette scène si originale, il faut que ceux qui la liront dans cette faible traduction tiennent compte de tout ce que doit y ajouter de piquant l’expression tout à la fois familière, noble et énergique du texte espagnol. Encore une fois, ce sont de ces beautés qui ne peuvent être transportées que bien incomplètement dans notre langue.

Crespo n’a plus qu’une pensée, c’est de terminer rapidement le procès du capitaine. Il interroge les soldats arrêtés avec lui, et obtient leurs aveux en les menaçant de la question ; il force la malheureuse Isabelle, qui voudrait ensevelir sa honte dans le silence, à déposer elle-même contre son ravisseur ; il fait arrêter son fils, prévenu du crime d’avoir tiré l’épée contre son supérieur militaire, et comme on s’étonne de cette rigueur : « Je n’aurais pas hésité, répond-il, à traiter de même mon propre père, si la loi l’avait exigé. » Puis il ajoute à demi-voix, avec cette finesse sournoise qui est un des traits de son caractère : « On croit que je fais un miracle de justice et d’impartialité, et on ne s’aperçoit pas que c’est la seule manière de lui sauver la vie. »

Un soldat échappé aux poursuites de Crespo est allé porter à don Lope la nouvelle de ce qui se passe à Zalamea. Le vieux général ne voit dans l’arrestation d’un de ses officiers qu’une atteinte portée aux priviléges et à l’honneur militaire. Sa tête s’échauffe, il accourt, et, ne soupçonnant pas le rôle que joue dans cette affaire son ami Crespo, c’est chez lui qu’il vient descendre ; il faut les entendre s’expliquer.


Crespo. — Veuillez me dire, monseigneur, ce qui vous ramène ? Vous paraissez grandement affecté.

Don Lope. — C’est que je viens d’apprendre l’acte le plus impudent, la plus incroyable folie qu’il soit possible d’imaginer. Un soldat que j’ai rencontré sur la route, m’a dit… j’étouffe de colère…

Crespo. — Continuez.

Don Lope. — Il m’a dit qu’un misérable alcade a fait arrêter le capitaine… Je crois que jamais je n’ai senti si péniblement les douleurs de la goutte qui me tourmente, que dans ce moment où elle m’a empêché d’arriver aussi vite