Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
LA HOLLANDE.

et réfléchie, qui ne se laisse point fasciner par les rêves de gloire ou de fortune des autres peuples, qui résiste au malheur par la patience, et maintient avec fermeté les vertus peu brillantes, mais sérieuses, qu’elle a héritées de ses pères. La nature, qui souvent trompe ces hommes, leur apprend à être prudens, et la mer avec laquelle ils sont toujours en lutte leur fait un devoir d’être tenaces.

Je ne connais pas un pays plus durement, plus injustement traité dans les descriptions de voyage que la Hollande. Un grand nombre d’étrangers la visitent cependant chaque année et pourraient apprendre à la connaître telle qu’elle est réellement. Mais les uns arrivent là comme par acquit de conscience, pour traverser La Haye, jeter un coup d’œil sur Amsterdam, inscrire leur nom dans la cabane de Pierre-le-Grand et repartir. D’autres y viennent avec des idées toutes faites, un point de vue arrêté d’avance, et se croiraient déshonorés si à leur retour ils s’avisaient de juger la Hollande plus sérieusement que ceux qui les ont précédés dans cette facile exploration. Que d’épigrammes en vers et en prose n’a-t-on pas faites sur l’avarice et la sécheresse de cœur des Hollandais ! combien de charmantes facéties sur leur habitude de fumer et sur le lavage quotidien des rues et des maisons ! Il y a des gens qui croient encore sincèrement que le pavé de Broek est frotté chaque matin comme un parquet de la Chaussée-d’Antin, qu’il est défendu d’éternuer et à plus forte raison de cracher dans les rues, que les poules et les chats sont bannis de cet Eldorado de la propreté, et qu’en arrivant là on est tenu d’ôter ses bottes et de chausser des babouches. Il y a des gens qui se figurent que le Hollandais, la pipe et le verre de genièvre, ne forment qu’un seul et même individu. Je comprends que le duc d’Albe, dans sa ferveur de catholique et sa haine d’Espagnol contre un peuple de protestans révoltés, se soit écrié en regardant les plaines affaissées de la Hollande, que c’était le pays le plus voisin de l’enfer. Je comprends que Voltaire, irrité de ses relations avec les libraires d’Amsterdam, ait prononcé en quittant la Hollande sa méchante boutade : « Adieu, canaux, canards, canaille. » Mais que les Anglais et les Allemands, dont les habitudes ont tant de rapport avec celles des Hollandais, se soient avisés aussi de railler cette honnête nation, en vérité, c’est à quoi l’on ne devait pas s’attendre. Or, voici un échantillon des jolies phrases écrites sur la Hollande par les Anglais. C’est le poète Butler qui parle : « Une contrée qui tire cinquante pieds d’eau, et où l’on est comme à fond de cale de la nature. Là, quand les flots de la mer s’élèvent et engloutissent une province,