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vent être personnellement responsables des faits de guerre, il n’y a plus d’obéissance militaire possible ; chacun a le droit de discuter, avant d’agir ; il ne faut plus songer ni à l’unité d’action, ni au secret des résolutions, ni à la promptitude du service. Il est inutile de rechercher ici quelles peuvent être en théorie les limites de l’obéissance passive des agens subalternes. Ces limites ne seraient pas applicables au cas particulier. Il n’appartenait pas aux soldats canadiens de savoir si l’Angleterre voulait ou non faire un acte d’hostilité ou de représaille envers un état de l’Union. Le gouvernement anglais n’a pas désavoué ses agens. Cela suffit. C’est une querelle de nation à nation, rien de plus, rien de moins.

Une affaire d’une certaine gravité vient aussi d’éclater en Suisse. À l’occasion de la révision de la constitution cantonale, une insurrection de catholiques a porté le trouble dans le canton d’Argovie, canton mixte où les catholiques sont aux protestans dans le rapport numérique de 6 sur 13. À tort ou à raison, on a accusé les ordres monastiques de l’Argovie d’avoir excité ou du moins fomenté l’insurrection : aussi dès que l’insurrection a été réprimée le gouvernement cantonal, procédant ab irato, a supprimé d’un trait de plume tous les couvens.

Or, par une bizarrerie qu’expliquent facilement les circonstances qui ont donné naissance au pacte fédéral de 1815, à ce pacte que la Suisse ne peut aujourd’hui ni exécuter ni réformer, la garantie des couvens se trouve littéralement écrite dans ce pacte. Dans le système suisse, c’est là, il en faut en convenir, un étrange empiètement sur la souveraineté cantonale. Qu’importe à une confédération mixte qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas de couvens dans certains cantons ? Qu’importent les capucins de Zug, les Bénédictins de Schwitz ou du Valais, les cordeliers ou les jésuites de Fribourg aux cantons de Berne, de Zurich, de Vaux, de Neuchâtel, de Genève ? Évidemment c’était là une affaire essentiellement cantonale, et si les auteurs du pacte de 1815 avaient eu plus à cœur les vrais intérêts de la confédération suisse que les intérêts contre-révolutionnaires, ils n’auraient mêlé la confédération à l’affaire des couvens, et auraient en revanche ôté aux cantons, pour le donner à la confédération, quelque droit bien autrement essentiel pour le salut de la Suisse que la protection des ordres monastiques.

Quoi qu’il en soit, toujours est-il qu’en se plaçant au point de vue de la légalité, il est impossible de ne pas reconnaître que le canton d’Argovie a violé une disposition formelle du pacte fédéral. Sévère, mais tardive leçon pour ces radicaux, dépourvus de tout sens politique et de toute vue saine d’avenir, qui en 1833 se réunissaient gaiement aux moines et aux ultra-conservateurs, à ces hommes fatalement condamnés à perdre tous les pays qu’ils gouvernent pour faire repousser par des populations abusées la réforme du pacte fédéral ! Aujourd’hui on accuse les radicaux, on les dénonce à l’Europe pour avoir enfreint les dispositions de ce même pacte qu’ils n’ont pas voulu réformer, parce qu’on ne leur donnait pas à la place je ne sais quelle vaine utopie. L’accu-