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times intérêts ; mais les Français, de leur côté, ne doivent pas oublier qu’il ne leur appartient pas de se constituer juges, à Montevideo ou à Buénos-Ayres, des rapports de ces pays avec la mère-patrie, et d’épouser en pays étranger des querelles politiques qui ne les concernent pas, sans savoir s’il convient ou non à la France qu’ils s’immiscent dans ces troubles civils. Que serait-il arrivé si la guerre eût éclaté en Europe ? Une partie de nos forces navales se serait trouvée aventurée dans les mers du Sud, et six mille de nos marins, au lieu de se battre dans la Méditerranée, auraient été guerroyer misérablement dans la Plata, pour savoir si Buénos-Ayres serait mal gouvernée par Rosas, par Lavalle, ou par tel autre chef peut-être sans consistance et sans avenir. L’Amérique du Sud ne sera, pendant long-temps, qu’un pays d’agitations, de troubles, de révolutions éphémères. Encore une fois, notre gouvernement doit y protéger les Français, et, s’il le faut, par des actes de vigueur et de sévérité ; mais les Français, à leur tour, et le gouvernement le premier, doivent s’abstenir de prendre part aux odieuses et misérables querelles qui divisent ce pays.

Les millions que nous avons dépensés dans la Plata et dans la Bande Orientale, nous pouvions les dépenser avec profit dans plus d’un département français ; et si nous voulions à tout prix les jeter au loin, mieux valait les employer dans nos colonies, aux Antilles, même dans l’Algérie.

Dans nos colonies, on aurait pu préparer ou commencer l’affranchissement des esclaves. L’intérieur des îles manque de routes ; les écoles, les hôpitaux, les prisons, tout est dans un état déplorable ; rien n’est proportionné aux besoins qui se manifesteront le jour où la population libre viendra tout à coup à s’accroître par l’émancipation des noirs.

Dans l’Algérie, que faisons-nous ? Une guerre très coûteuse et sans issue, des incursions qui ressemblent plus encore au pillage qu’à la guerre. L’admirable bravoure de nos soldats, le talent de nos généraux, ne peuvent pas amener une crise, un résultat définitif.

L’Algérie ne sera pour nous qu’une possession coûteuse et précaire, un gouffre où nous jetterons inutilement nos soldats et notre argent, tant qu’une large ceinture de colonisations européennes ne sera pas solidement établie sur le littoral africain. Que nous importent les cabaretiers, les limonadiers, les pourvoyeurs de toute nature qui se transportent en Afrique, qui en peuplent les villes pour pourvoir aux consommations de l’armée et des employés du gouvernement ? Ce ne sont pas là de vrais colons, ce n’est pas là une population attachée au sol africain et devenue en quelque sorte indigène par des intérêts permanens et fonciers. Ce qu’il nous faut, c’est une population agricole, des familles d’actifs et robustes paysans, pouvant à la fois fournir à la terre des laboureurs, à la milice locale de bons soldats. C’est ainsi qu’on parviendrait un jour à pouvoir garder l’Algérie avec une dépense tolérable et de faibles garnisons. Ces colonisations, malgré les difficultés du climat, ne sont pas impossibles. Ce qu’elles exigent avant tout, c’est un plan bien arrêté, un système suivi et quelques avances. Mieux vaut donner quelques millions à des