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dehors jusqu’à ce que le frottement l’eût amorti ; l’expédition des Argonautes et la guerre de Troie usèrent l’excès de cette force par l’adversité, et la renfermèrent dans la péninsule hellénique.

Il y a, dans l’ensemble des faits qui ont concouru à créer la nation grecque, une ressemblance frappante avec ceux qui ont créé la nation française, à tel point que si l’on changeait seulement les noms propres et le lieu de la scène, il y aurait, dans l’une de ces deux histoires, reproduction presque littérale de l’autre. La Gaule aussi était devenue une théocratie dans les derniers temps de l’empire romain ; les populations germaniques, si long-temps repoussées dans leurs forêts, en sortirent aussi un jour, franchirent le Rhin et épouvantèrent de leur nombre et de leur fureur leurs vainqueurs d’autrefois. Francs, Burgondes, Goths et Allemands, tribus diverses dont le nom s’est perdu dans le nom de la première ; furent à la fin absorbés par la cité théocratique ; mais ils la modifièrent profondément. Et quand il fut sorti une nation de cette mêlée des nations, l’esprit d’aventures ne s’éteignit aussi qu’après des courses lointaines, qu’après des adversités qui refoulèrent enfin la furie française dans ses frontières. Nos Guiscard et nos Tancrède, poignée de navigateurs conquérans, ne furent-ils pas les Argonautes de France ? et l’expédition des princes grecs contre Troie, défendue par les populations asiatiques, expédition qui fut si fructueuse au dedans pour la reconstitution de la nationalité hellénique, et au dehors pour le commerce, n’a-t-elle pas, dans son aspect et dans ses résultats, quelque chose de nos croisades ? Ces rapprochemens n’ont rien de forcé ; ils reviendront encore ; ils contiennent au moins un des élémens de la philosophie historique.

Deux aristocraties, à la tête de deux peuples, se trouvèrent donc en présence ; l’aristocratie orientale et sacerdotale, matériellement vaincue, se retrancha dans les terreurs de la religion, et sa domination ne fut plus qu’influence ; l’aristocratie militaire des Hellènes s’empara de la puissance politique active. Elles s’usèrent l’une l’autre pendant huit cents ans ; leur lutte finit pour Athènes dans la courte monarchie de Pisistrate et de ses enfans, laquelle fut détruite, pour faire place à la république, par une réaction de la race vaincue, car la famille d’Harmodius et d’Aristogiton, qui chassèrent Hippias, était phénicienne d’origine, selon Hérodote.

Les traditions héroïques présentent une série de faits qui rendent vivement le tableau de cette rivalité entre les prêtres et les guerriers. La légende de Thèbes en donne un exemple remarquable dans l’histoire d’Œdipe. Œdipe était un Hellène, un montagnard, un enfant