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LES SETTE COMMUNI.

nous traversions, la plus étrange peut-être que j’aie jamais vue. De tous côtés se dressaient d’immenses pyramides calcaires, veinées de teintes fauves et bleuâtres et sillonnées de couches basaltiques. Sur leurs pentes on apercevait tantôt un lambeau de forêt, tantôt une habitation entourée de son petit champ d’avoine ou de pommes de terre, tantôt un maigre pâturage où paissaient des troupeaux de chèvres et de moutons pittoresquement groupés sur des précipices. Ces pyramides se touchaient par leurs bases que rongeait un torrent ou que contournait un sentier taillé dans le roc. Les collines qui servent de solides et rians contreforts aux montagnes, les plaines qui s’étendent à leurs pieds couvertes de riches moissons ou de beaux pâturages, n’existent pas dans cette bizarre contrée, et c’est là une des principales causes de la misère de la population, qui n’a pour vivre que ses troupeaux et son industrie peu productive.

Aux environs d’Asiago, la capitale du pays, les montagnes s’écartent un peu et sont couvertes, en partie, de belles forêts de sapins enserrant de petites vallées cultivées avec soin. Cette partie de la contrée, que l’on appelle la région d’en bas, est élevée de trois à quatre mille pieds au-dessus du niveau de l’Adriatique. C’est la Beauce des Sette Communi, le riche district où croissent les plantes céréales, le seigle, l’orge et un peu de froment. On a calculé que ces vallées cultivées fournissaient à peu près pour deux mois de vivres à la population des Sette Communi, que le reste du pays suffit à peine à nourrir quatre mois de l’année. Cette population s’élève à environ trente mille ames, en comprenant dans cette évaluation les habitans de treize villages, dits les Tredeci, enclavés dans les mêmes montagnes et jouissant des mêmes priviléges quoique formant une confédération à part. L’étendue du territoire du petit état est d’environ dix-huit milles carrés de quinze au degré, c’est-à-dire d’un peu plus de trente de nos lieues carrées. Cela fait donc mille habitans par lieue carrée, population fort considérable pour un pays où les cinq sixièmes du sol doivent rester forcément incultes. En évaluant la dépense de chaque habitant à 300 fr. par an, on obtient une somme de neuf millions. Or, le revenu annuel du territoire des Sept Communes, les bois de construction compris, est tout au plus de huit millions ; il y a donc un déficit d’un million que l’industrie de ses habitans doit combler. Obligés de tirer du dehors la majeure partie des denrées qu’ils consomment, presque tous leurs capitaux passent à l’étranger. Heureux encore ceux qui peuvent faire ces dépenses, et vivre tout l’hiver avec l’argent qu’ils ont gagné pendant l’été. Ceux-là sont les aristocrates de la