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VINETTI.

des cymbales, une danse lascive, effrénée, une danse païenne que des jeunes gens des deux sexes, à moitié nus, menaient sans honte et sans pudeur. Je crus que j’étais tombé dans un repaire de bêtes fauves. Dans le premier mouvement où cette scène scandaleuse me jetait, j’allais apostropher tous ces mécréans d’un verset de la Bible, lorsque mes idées se troublèrent ; je venais d’apercevoir Seph assis dans le fond, sur une éminence de bruyères où l’on avait étendu des housses de chevaux. Il était là comme un roi sur son trône ; à ses côtés, une jeune fille brune, vêtue d’une robe chatoyante à paillettes d’or, lui souriait avec des dents plus blanches que l’ivoire ; un cistre frémissait entre les doigts de la bohémienne, qui, tout émue encore, le regard humide, son bras jeté autour du cou de mon élève, semblait attendre la récompense de sa musique voluptueuse. Comme des torches de résine flamboyaient à l’entour, je pus la contempler à souhait : c’était une fille basanée, mais svelte, élégante, gracieuse, à l’œil vif, au pied de biche, à la taille de couleuvre ; en somme, assez charmante pour tourner la tête à un pauvre jeune homme qui n’avait jusqu’alors admiré que des beautés de village.

Tandis que je m’oubliais ainsi dans mon étonnement, je me sentis tout à coup saisi par le bras, et, avant même que j’eusse pu me retourner, mes deux mains étaient garrottées derrière mon dos. Au cri que je poussai, Seph et la jeune fille s’étaient levés ; en un moment, je fus traîné au milieu de la bande, qui m’accueillit avec des hurlemens de joie et de colère. Mais à peine Seph m’eut-il recounu, qu’il me sauta au cou en s’écriant : Père ! mon père ! En moins d’une seconde, il m’eut débarrassé de mes liens, et nous nous trouvâmes en face l’un de l’autre.

— Seph, lui dis-je alors dans une véritable effusion paternelle, est-ce donc ici que je devais te retrouver ? Est-ce là le fruit que tu retires de mes leçons, le prix que tu réservais à mon amour, à cet amour charitable qui, non content de t’arracher à la dernière des misères, a voulu t’élever pour tout ce qu’il y a de bon et d’honnête sur la terre ? Mais sais-tu bien, malheureux, où tu es ici ? au milieu de vagabonds et de voleurs, au milieu d’un peuple de réprouvés ! Seph ! mon Seph ! n’as-tu donc plus une goutte de sang dans les veines, que tu puisses ainsi devenir, en quelques heures, pervers et débauché ?

Seph se tenait les yeux baissés, dans la confusion ; quelque chose d’honnête frémissait en lui. Je le pressai, la force de la situation m’inspirait ; je l’exhortai dans les termes les plus affectueux, les plus