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LE DOCTEUR HERBEAU.

supplié vainement pour qu’on en fît du moins un colombier. Le château n’avait pas subi à l’intérieur une profanation moins complète. On s’était chauffé tout un hiver avec les boiseries de chêne, et M. Riquemont les avait remplacées par un papier représentant des Chinois en palankin et des Indiens sur des éléphans. Aux vieux cadres, aux vieux portraits, avaient succédé les portraits lithographiés de Lafayette, de Benjamin Constant et du général Foy. La chambre à coucher de M. Riquemont était particulièrement ornée des batailles de l’empereur et de quatre tableaux racontant la vie et la mort de Poniatowski. Louise avait eu bien des luttes à soutenir pour préserver son appartement du patriotisme de son mari ; encore n’avait-elle pu obtenir de garder au chevet de son lit un grand Christ d’ivoire qu’elle tenait de sa grand-mère, M. Riquemont ayant signifié qu’il ne saurait jamais se résoudre à encourager la superstition et le fanatisme. Louise était, à vrai dire, en ce lieu la poésie exilée dont je vous parlais tout à l’heure.

Le docteur l’aperçut assise sur le perron : pâle et languissante, Mme Riquemont tâchait de réchauffer ses membres glacés au soleil du printemps. Elle n’avait jamais voulu se soumettre à garder le lit ni la chambre ; elle traitait son mal en femme impérieuse et coquette, et la douleur était plutôt esclave des caprices de Louise que Louise n’était esclave des exigences de la douleur. Aristide mit pied à terre, se débarrassa de ses bottines, et, faisant voltiger son mouchoir le long de ses jambes et sur ses souliers pour en enlever la poussière, il marcha vers la jeune malade d’un air gracieux et pimpant. Il monta les degrés du perron avec une dignité parfaite, s’approcha galamment de Mme Riquemont, et lui prit une main blanche et sèche qu’il porta tendrement à ses lèvres.

— Toujours aimable ! dit Louise en pressant la main d’Aristide.

— Et vous, toujours plus belle et plus charmante ! s’écria le délicieux Herbeau.

— Ah ! docteur, vous vous vantez ! dit-elle en souriant.

Le docteur avait raison : Mme Riquemont était charmante. Je ne sais quel mélange de finesse et de mélancolie donnait à ses traits quelque chose de la physionomie de la gazelle. Ses lèvres étaient minces et décolorées, mais encore armées d’un sourire à la fois doux et presque railleur, que n’avait pas émoussé la souffrance. Son front, net et pur, était veiné de bleu, et ses beaux yeux, dont l’azur se détachait sur la mate blancheur du visage, semblaient deux pervenches épanouies sur la neige, aux premiers rayons du printemps. Ses