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Ainsi, parmi ceux qui avaient formé le parti de la résistance et de la paix, il existait, soit sur la nature et l’esprit des institutions constitutionnelles, soit sur le rôle que la France doit jouer en Europe, des vues très diverses, et qui, une fois le calme rétabli, ne pouvaient manquer d’apparaître. Parmi ceux qui avaient combattu la politique du 13 mars et du 11 octobre, on trouvait sur les mêmes questions et sur d’autres encore une égale variété d’opinions. Les partis se trouvaient donc dans un de ces momens critiques où, le nœud qui les retenait se relâchant peu à peu, ils ne restent unis que par habitude ; où, entre le gros de l’armée et ses chefs, quelquefois entre les chefs eux-mêmes, il n’existe plus cette intelligence, cette harmonie qui maintient la discipline et vivifie l’association ; où, en un mot, les mêmes mots et les mêmes actes ont cessé d’exprimer les mêmes pensées et de répondre aux mêmes sentimens. Quand les partis en sont venus là, on peut prédire à coup sûr que le jour de leur dissolution n’est pas loin.

Et cependant six ans de vie commune créent entre des hommes politiques qui se respectent des rapports si intimes et une solidarité si étroite, que la crise eût pu être retardée, si des circonstances accidentelles n’étaient venues la précipiter. Depuis la mort de M. Périer, la majorité parlementaire avait pour guides et pour chefs trois hommes d’une haute et juste renommée, MM. de Broglie, Thiers et Guizot, esprits et caractères divers sans doute, mais qui, en donnant satisfaction à toutes les nuances de la majorité, concouraient, par leur diversité même, à la maintenir et à la fortifier. Unis, MM. de Broglie, Thiers et Guizot étaient maîtres du terrain à la chambre comme ailleurs, et en état de faire prévaloir partout leur avis. Pour ceux, quels qu’ils soient, qui ne partageaient pas cet avis, ou que cette prépondérance gênait, il y avait donc un intérêt manifeste, un intérêt commun à briser leur union. C’est vers ce but que de divers points de l’horizon des batteries furent dirigées. Malheureusement elles firent brèche.

Un jour viendra sans doute où l’on pourra raconter sans inconvénient tout ce qui se passa à cette époque, et éclairer un coin encore assez obscur de notre histoire parlementaire. Il doit suffire aujourd’hui de dire que, par le concours des causes naturelles et des causes accidentelles que je viens de signaler, les vieilles associations politiques reçurent en 1836 une atteinte mortelle, et que les combinaisons existantes s’évanouirent sans que des combinaisons nouvelles fussent naturellement prêtes à les remplacer. À partir de ce moment, six