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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

suivi ce conseil ? Il a, il est vrai, ajouté dans le traité du 15 juillet la place d’Acre au pachalik d’Acre ; mais il a retiré l’hérédité, ce qui fait au moins compensation.

Les négociations étaient à peu près rompues entre la France et l’Angleterre ; lord Palmerston crut devoir résumer ses griefs contre le gouvernement français dans une espèce de memorandum qu’il adressa, le 29 octobre 1839, à lord Granville, et où il prétendait que la France, après s’être déclarée la protectrice du sultan, était devenue, en apparence du moins, la protectrice du pacha.

Le maréchal Soult, blessé de cette insinuation, se défendit en termes très aigres, disant que l’on porterait une atteinte bien plus grave à l’indépendance de l’empire ottoman en permettant aux Russes d’occuper Constantinople et l’Asie mineure, qu’en concédant à Méhémet-Ali l’administration de tous les territoires que possédaient les Égyptiens. Voici la réplique de lord Palmerston :

« C’est sans contredit un malheur pour un souverain de se trouver dans la nécessité de recevoir l’assistance d’un autre souverain pour se défendre contre une agression faite à main armée. Il y a là une grande preuve de faiblesse pour le pouvoir qui accepte cet appui, et l’indépendance est incompatible avec la faiblesse. Cette assistance encore, si elle était l’acte individuel du protecteur, donnerait le droit à ce souverain d’exiger, en retour, des faveurs et une influence qui empièteraient sur l’indépendance du protégé. Mais si la Russie devait venir au secours du sultan, non point de son propre mouvement, mais en vertu d’un concert établi entre les cinq puissances, un tel secours n’entraînerait pas, de la part de la Turquie, des concessions qui pussent nuire à son indépendance. Ainsi, toute la question est de savoir si l’indépendance de la Turquie serait plus gravement compromise pour l’avenir par l’occupation temporaire d’une partie de son territoire par une force russe qui viendrait y rétablir l’autorité du sultan, et qui se retirerait après l’avoir rétablie, que par l’occupation permanente de ce territoire par une force égyptienne qui, étant venue pour la conquérir, y resterait pour la garder. »

La réponse de lord Palmerston est à peine spécieuse, et il passe à côté de la question. Le maréchal Soult ne supposait pas, en effet, que les Russes s’établissent d’une manière permanente à Constantinople ni dans l’Asie mineure. Ce qu’il redoutait, ce que tout le monde craint, c’est qu’à force d’occuper les rivages du Bosphore en alliés, et en amis, les Russes ne finissent par en être considérés comme les propriétaires naturels. Les Turcs ont fondé leur empire par les armes ; ils ont des mœurs militaires, et n’estiment leur gouvernement que dans la proportion du courage et de la force qu’il déploie. Quelle