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et pur ; une femme aux yeux plus limpides, plus invitant à la rêverie que le ciel et les eaux ; quel plus beau rêve peut-on faire ? Robert Wramp est à côté de Marguerite, sur une terrasse qui longe le Rhin ; derrière lui, dans une chambre entr’ouverte, s’est écoulée une belle nuit ; maintenant il voit commencer sur les eaux un jour radieux. Oui, il le voit commencer, mais il ne le verra pas finir.

Tout le monde connaît le roi de Thulé, le beau vieillard qui jette dans la mer la coupe dont les lèvres de sa maîtresse ont pressé les bords. Jeter une coupe dans la mer, si riche fût-elle, qu’est-ce cela ? Quand elle aurait, comme les coupes antiques, sur toutes ses faces, des visages immortels de dieux, des paysages tranquilles, de grandes images de combats, qu’est-ce qu’une coupe ? l’ouvrage d’un artisan, après tout. Pour obéir au même sentiment que le roi de Thulé, Robert Wramp va jeter dans le fleuve un ouvrage qui n’est sorti d’aucune main humaine ; il va y jeter son corps lui-même. Nulle ame ne se servira plus du corps que celle qu’il aime a pressé sur son sein. Il a fait part à Marguerite de sa résolution, Marguerite est décidée à le suivre.

Retranchez l’idée de la douleur, et vous aurez une suite d’images charmantes. Un jeune homme quitte avec sa bien-aimée la chambre nuptiale pour aller voir tomber sur le miroir des eaux les premiers rayons du matin. Tout plein de volupté et de langueur, le couple amoureux s’avance sous les arbres. Arrivé à l’extrémité de la terrasse, les deux amans se penchent pour regarder le fleuve ; le fleuve les attire, et, au lieu de se refuser à son invitation, comme on le fait d’ordinaire, ils le trouvent ravissant, ils se laissent séduire. Eh bien ! j’ai beau faire, dans la langue des hommes, tout cela s’appelle se noyer. Robert Wramp et Marguerite se noyèrent ensemble.

Que devinrent l’ame de Maldech, et surtout celle de ce pauvre Tréfleur, qui, en définitive, est le héros de notre histoire et le propriétaire du vêtement dont on fit si bon marché ? Ma foi, je n’en sais rien. — Ont-elles retrouvé un autre corps ? — C’est bien possible. — On a beaucoup parlé à Coblentz d’un M. de G……, qui, après avoir reçu les soins du docteur Blum, devint sujet tantôt à des accès de prodigalité effrénée, tantôt à des accès d’avarice inouie.

Quant aux ames de Robert et de Marguerite, placez-les dans le paradis le plus bleu et le plus doré que vous pourrez imaginer.


G. de Molènes.