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FEU BRESSIER.

au jeune homme qui l’abordait, certain d’ailleurs qu’il allait le reconnaître dans une seconde ou deux.

— Comme il y a long-temps que nous nous sommes vus !

— Oui, bien long-temps, répondit Paul, qui continuait à ne pas se rappeler.

— Et que fais-tu ?

— Je suis musicien à l’orchestre du théâtre.

— Ah ! coquin, tu dois t’en donner avec les actrices.

— Je t’assure que non, dit Paul, qui n’osa pas affirmer qu’en fait d’acteurs et d’actrices il n’avait jamais vu que les deux pieds du cheval gris dont nous avons parlé plus haut.

— Allons donc ! allons donc ! tu es un fameux hypocrite. Où demeures-tu ?

— Au coin de la place du marché ; et toi ?

Paul ici était triomphant ; il n’était plus temps de demander le nom d’un homme qu’il tutoyait depuis un quart d’heure, mais l’adresse allait sans doute l’éclairer.

— Toujours au même endroit, répondit l’inconnu. Il faut que tu viennes me voir, nous causerons ; mais tu ne feras plus l’hypocrite. Tu dois joliment t’amuser. Adieu, à bientôt.

— À bientôt.

Et l’inconnu disparut.

Paul y pensa quelques jours, sans pouvoir deviner qui pouvait être son ami. Il le rencontra depuis trois ou quatre fois, mais il était avec d’autres jeunes gens, et continuait à tutoyer Seeburg, qui le tutoyait de son côté.

Un soir qu’on ne jouait pas à l’Opéra, il alla passer la soirée dans une maison où on dansait. Il reconnut son ami inconnu au milieu d’une contredanse. Il tâcha de le rejoindre, mais il partit ou se perdit dans la foule ; il lui fut impossible de le retrouver. Il s’adressa à la maîtresse de la maison et lui dit :

— Quel est le nom de ce jeune homme qui dansait tout à l’heure avec mademoiselle votre fille ?

— Je ne le connais pas ; c’est un de ses amis qui me l’a amené, et je n’ai pas fait attention au nom qu’il a dit en me le présentant.

Enfin il prit son parti, et, la première fois qu’il le rencontra, c’était dans la rue, il l’aborda et lui dit : Monsieur, vous allez me trouver bien extravagant, mais il faut que je vous dise la vérité. Voilà bientôt trois mois que nous nous rencontrons de temps en temps, que nous nous tutoyons de toute notre force, et je vous jure