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pour les années 1840, 1841 et 1842, à 839 millions. Un mois plus tard, le 18 janvier 1841, le ministre des finances proposait d’ouvrir, par la loi des travaux extraordinaires, un crédit de 534 millions, qui se confondait, jusqu’à concurrence de 146 millions, avec les estimations précédentes, et qui devait porter par conséquent le découvert du trésor à 1230 millions environ. Pour rendre ces calculs plausibles, le ministère avait fait figurer, au budget de la guerre, un effectif de 493,000 hommes, bien que l’armée n’en eût compté, à aucune époque, plus de 426,000 dans ses rangs. Par un effet de la même tactique, les budgets de 1841 et 1842 comprenaient un fonds de 36 millions, destiné à pourvoir aux intérêts et à l’amortissement d’un emprunt qui n’était pas encore contracté.

Pendant que l’on entassait ainsi les chiffres sur les chiffres, afin d’élever à une hauteur chimérique la montagne du déficit, on nous signifiait en même temps qu’il n’y avait aucun soulagement à attendre de l’accroissement éventuel du revenu. La majorité de la chambre partageait sur ce point le désenchantement réel ou simulé du ministère ; car M. Thiers, ayant démontré un jour que les recettes du trésor s’augmentaient régulièrement en moyenne de 20 millions par année, fut interrompu par des murmures d’incrédulité. Et pourtant le revenu de 1840 offrait déjà une plus-value de 36 millions.

Ce qui prouve que les alarmes du gouvernement n’avaient alors rien de bien sérieux et n’étaient guère que des tableaux de fantaisie, c’est qu’au moment où il faisait ressortir l’exagération menaçante des dépenses que lui avaient, disait-il, léguées ses prédécesseurs, il avait le courage d’entreprendre de nouvelles dépenses, des travaux extraordinaires qu’il était encore en son pouvoir d’ajourner. Ajoutons qu’en créant ou en acceptant toutes ces charges, le ministère ne semblait pas se préoccuper beaucoup des moyens d’y subvenir. Évidemment, si la situation lui avait paru désespérée, il n’aurait pas reculé devant un changement quelconque dans l’assiette ou dans le taux de l’impôt, il n’aurait pas dit d’un ton calme, et qui contrastait avec la sombre couleur de ses prophéties : « Nous ne vous proposons point d’établir des taxes nouvelles ni d’élever le tarif de celles qui se perçoivent[1] ; » surtout il aurait présenté, pour faire face à ce prétendu découvert de 1230 millions, des ressources moins incertaines qu’un emprunt de 450 millions et que les réserves de l’amortissement ; enfin il n’aurait pas donné à entendre que la France devait s’interdire jus-

  1. Budget de 1842, page 19.