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LES BRUGRAVES.

la langueur dont semblait atteint le génie tragique, firent-ils pousser un cri d’alarme. Quelques écrivains, sentinelles avancées de l’art, s’insurgèrent, non contre les maîtres de la scène, à Dieu ne plaise, mais contre leurs insuffisans successeurs qui s’imaginaient continuer Racine et Corneille, oubliant que dans l’art on ne continue pas ce que l’on copie, et que continuer les maîtres, c’est créer et innover à son tour.

L’éclatant appel de la critique fut entendu. Un poète vint, qui ne ressemblait aux modèles que par l’originalité et la grandeur du talent ; un poète qui apportait au théâtre une gerbe de nouveautés : nouvelle forme, nouvelle langue, nouvelles émotions. Toutefois, ce drame si triomphalement inauguré sur notre scène par Hernani, était-ce bien celui que l’école critique, comme on disait alors, avait appelé de tant de vœux ? Était-ce bien la colombe si long-temps attendue dans l’arche romantique ? Hélas ! non. Fatiguée de tout ce qu’offrait de décrépit et de faux la tragédie sans invention et sans style des successeurs de Ducis, la critique n’avait guère fait qu’achever de démolir ces ruines ; son œuvre n’avait été à peu près que négative. Dans ses élans les plus hardis de reconstruction poétique, elle n’avait rêvé qu’un drame plus vrai, miroir des évènemens, reflet fidèle et intelligent des grandes choses du passé. Pinto lui semblait le point de départ, Clara Gazul et les États de Blois un acheminement, Marie Stuart et surtout le Cid d’Andalousie une transition. On a dit que la révolution de juillet avait dissout l’école critique ; il est vrai que le grand mouvement de 1830 emporta ailleurs la pensée de tous et acheva ainsi la dispersion ; mais, en réalité, la fin de la croisade romantique date de la première représentation d’Hernani. De ce jour, en effet, le grand rôle, le rôle influent de la critique était terminé ; celui de la poésie commençait. L’œuvre de la réforme ou, mieux encore, de la résurrection théâtrale, que la polémique avait provoquée, un poète l’accomplissait ; il entrait, il est vrai, dans la place par une autre brèche que celle qu’avait indiquée et entr’ouverte la théorie ; mais il y entrait et s’y installait avec toute la puissance du talent et l’auréole de la conquête.

Une partie des réformateurs théoriciens, peu satisfaits de n’avoir canonné la tirade que pour revoir la tirade debout et grandissante, de n’avoir proscrit les a parte et les monologues, que pour voir reparaître les a parte et s’allonger indéfiniment les monologues, de n’avoir prêché le respect de l’histoire et la lecture des chroniques que pour voir les plus grandes figures historiques déplorablement