Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
REVUE DES DEUX MONDES.

sont attachés à la révocation des lois sur les céréales, au bas prix du pain, comme si le taux des salaires n’était pas proportionné au prix des denrées de première nécessité. Les ultra-tories et les chartistes prétendent, de leur côté, que tout irait bien si, intervenant arbitrairement dans les rapports des maîtres avec les ouvriers, le gouvernement réduisait la journée de travail à dix heures, et fixait un tarif pour les salaires. On devrait demander d’abord au gouvernement d’assurer aux chefs d’industrie, par l’infaillible autorité d’un acte législatif, la prospérité constante de leurs affaires, comme à une époque d’ivresse politique on décrétait chez nous la victoire. Mais quelque difficile que soit le problème, quoiqu’on puisse dire que, pendant bien long-temps encore, sinon toujours peut-être, on ne pourra attaquer le mal qu’en tâtonnant, et lui apporter que des soulagemens temporaires, et même précisément pour ce motif, la loi sur le travail des enfans dans les manufactures doit être considérée comme une mesure de bienfaisance. Elle a produit, ou tend à produire en Angleterre trois excellens résultats : elle oppose un obstacle au mouvement inconsidéré qui porte les populations pauvres vers l’industrie, elle sème dans la jeunesse des classes laborieuses des principes de moralité, de religion et d’instruction ; enfin, au moyen du système d’inspection qu’elle a établi, elle tient constamment le gouvernement et l’opinion publique au courant de la situation des ouvriers dans toutes les parties du royaume-uni.

N’y a-t-il pour la France aucun profitable enseignement à retirer, au double point de vue de la philantropie et de la politique, de la pratique de cette législation dans le pays auquel nous en avons déjà emprunté l’idée première ? Je ne le crois pas. Il me semble que les chambres et la presse ont trop vite oublié la loi promulguée chez nous le 22 mars 1841 ; applicable six mois après cette époque, il y a déjà une année que les prescriptions de cette loi doivent avoir été mises en pratique. Quels en sont les résultats ? On l’ignore. Certes, à en juger par l’intérêt qu’elle avait excité pendant la discussion des chambres, on eût été autorisé à lui prédire un autre sort. Dans les premiers accès d’un zèle qui peut-être ne fut pas toujours assez réfléchi, on avait voulu faire sur le travail des enfans une loi parfaite, au risque de susciter à l’industrie et aux familles ouvrières elles-mêmes des embarras pénibles. On refusait d’écouter les hommes éclairés, qui, se défiant des surprises d’un engouement inconsidéré, demandaient que l’on se contentât de voter le principe de la loi, et de laisser à la sagesse, à la prudence de l’administration de pourvoir, par des règlemens, aux mesures de détail, aux besoins spéciaux. Quelque sensées que fussent ces observations, on leur reprochait peut-être de témoigner trop de tiédeur pour une cause dans laquelle l’humanité semblait réclamer impérieusement le zèle le plus actif, les précautions les plus promptes et les plus vastes. Cependant qui parle aujourd’hui de l’exécution de la loi ? Qui pense à en demander compte au gouvernement ?