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LES ORIGINES DE LA PRESSE.

pand dans l’air. Le monde de la pensée est conquis. Chose étrange, exceptée l’innocente Fustinn, qui semble n’avoir d’autre rôle que d’aimer Schœffer et de l’épouser, tous nos acteurs meurent tristement et tragiquement : l’avare et fourbe Faust, de la peste ; Gutenberg, réduit à l’aumône ; Schœffer, pillé, et André Dryzehn de douleur et ruiné. Légende singulière et pleine de passion, que Walter Scott n’eût pas dédaignée. Le génie humain a enfin trouvé son instrument, rapide, violent, éternel. Comment s’en servira-t-il ?

II. — MYTHOLOGIE DE LA PRESSE. — LEGENDES DE HARLEM,
DE BAMBERG ET D’OXFORD.

Mayence est en flammes ; un évêque l’assiége, un évêque la défend. Les soldats d’Adolphe de Nassau la mettent au pillage, et, dans les ruines de l’atelier souterrain où le vieux Faust, ce sorcier de l’imprimerie naissante, avait caché ses ouvriers, on voit entassés pêle-mêle les presses primitives, les caractères inventés par Gutenberg, et Schœffer lui-même égorgé au milieu des instrumens de ce grand art naissant, dont il a hérité et qu’il a perfectionné. Aussitôt se répandent dans toutes les directions les hommes que le vieux Faust avait associés dans cette franc-maçonnerie de la pensée et de l’industrie. Ils ne se croient plus liés par aucun serment ; ils vont exercer eux-mêmes cette science magique, comme ils le disaient au bas de leurs livres primitifs, ce secret d’écrire sans main et sans plumes, par une merveilleuse concordance de moules et de types. C’est bien un art allemand, une science germanique ; si les provinces rhénanes et les Flandres l’ont nourri, c’est l’Allemagne qui l’adopte. Partout les premiers missionnaires de l’imprimerie sont les apôtres sortis du caveau de Faust. Mentelin s’établit à Strasbourg en 1466, Ulrich Zell à Cologne en 1467, Zainer à Augsbourg en 1468, Sensenschmid à Nuremberg en 1470, Richel à Bâle en 1474, Brændis à Lubeck en 1475 ; les trente premiers imprimeurs dont on cite et connaît les noms sont Allemands. C’était pourtant le pays le plus arriéré de toute l’Europe. Ainsi les forces naïves et ingénues, le courage, la patience, l’ardeur soutenue de la lutte, tout ce que les nations civilisées perdent dans leurs plaisirs se trouve en dépôt chez les nations neuves et barbares ; c’est là que Dieu vient reprendre, au moment nécessaire, l’élément dont la civilisation a besoin, la sève et la vigueur qui renouvellent le monde.