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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

mais il a pour dogme le fatalisme. Restent les mythologies. Leurs dieux innombrables sont, il est vrai, personnels ; ne nous laissons pas cependant abuser par cette apparence : ils étaient tous, à le bien prendre, les plus élevés même, des divinités subalternes. Par-delà ces hiérarchies et ces multitudes se cachait dans un éternel mystère leur invisible monarque. Cet être suprême, seul ainsi vraiment Dieu, était-il personnel ? La question est là. Il ne l’est pas dans l’Inde ni dans ce vaste et secret Orient de l’Asie qui adore Bouddha. Si l’on assemblait les peuples et que l’on passât aux voix, les suffrages ne se réuniraient sûrement pas pour un Dieu personnel et une création libre. M. Schelling veut ensuite obtenir par la logique l’idée de Dieu, il entend d’un Dieu personnel et libre ; mais si la raison peut concevoir cette idée, elle n’est plus coupable de panthéisme, et toutes les protestations de M. Schelling contre elle tombent alors nécessairement. Ce point et d’autres encore ne sont pas suffisamment éclaircis. Voilà bien des obscurités et des lacunes : elles n’aident pas à la conviction.

De l’introduction je passe au système. Dieu crée par un acte de sa volonté. Mais si le décret est libre, une fois prononcé, il se réalise par un procédé constant. Dieu crée d’après les lois éternelles, que l’existence a en lui. Ce procédé de la création est le mystère même de la vie, et la plus superbe hardiesse, ou mieux, la plus grave aberration de quelques philosophes en Allemagne, a été de vouloir surprendre ce secret. Comment donner ici une idée de ces spéculations ontologiques si nouvelles pour nous, si étrangères à toutes les habitudes de la pensée française ? Je ne m’aventurerai pas dans ces difficiles obscurités. Il suffit de savoir que M. Schelling distingue trois principes ou facteurs de l’existence.

Et d’abord, un principe de l’existence absolue, indéterminée, en quelque sorte aveugle et chaotique. Ce n’est pas elle que le monde nous offre. Il y a donc une énergie rivale qui lui résiste et la restreint. La lutte de ces deux puissances et le triomphe progressif du second principe ont produit la variété des êtres et le développement toujours plus parfait de la création. Ce dualisme, partout manifeste dans la nature, n’est pourtant pas le fait suprême. Ces puissances ennemies sont toutes deux soumises à une troisième, qui les unit. C’est lorsque la lutte s’achève par la réduction complète de l’existence aveugle que ce troisième principe apparaît enfin avec l’homme, avec l’esprit. L’esprit possède en soi tous les principes de l’existence ; mais la guerre qu’ils se livraient dans la nature est apaisée en lui :