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la matière aveugle est entièrement transfigurée ; tout est clarté, lumière, harmonie. L’existence est arrivée à sa plus parfaite expression en l’homme, fidèle image de Dieu. À l’exemple de Dieu, il est libre aussi ; il est maître de lui rester uni ou de s’en détacher, de demeurer ou non dans l’harmonie.

L’expérience seule nous apprend ce qui s’est passé. L’état de l’homme atteste la chute : encore ici le décret est libre, mais il se réalise d’après des lois nécessaires. L’harmonie originaire de l’homme ne pouvait être troublée que si l’existence aveugle, vaincue, reprenait son empire. Aussitôt la puissance rivale de résister et la lutte de recommencer. L’homme tomba donc en s’asservissant au principe de la matière. Un conflit pareil à celui qui produisit la nature dut alors se renouveler : seulement cette guerre, au lieu de se passer au dehors, dans le monde réel, fut intérieure. Elle ne remplit plus de son trouble les espaces de l’univers ; elle n’agita que les profondeurs de la conscience humaine, et l’homme fut en proie à ce déchaînement qu’il avait provoqué. Pendant de longs siècles, il est comme dépossédé de lui-même ; il n’est plus l’hôte de la raison divine ; il devient celui de puissances titaniques, désordonnées, qui renouvellent en lui leurs anciennes discordes. Mais la conscience de l’homme est essentiellement religieuse ; les principes qui la dominent sont pour elle des forces divines. Il devait donc lui apparaître des dieux étranges, que nous ne pouvons plus concevoir, et elle ne pouvait pourtant s’affranchir de cette tumultueuse vision. La lutte qui avait une première fois produit le monde produisit alors les mythologies. Elle suivait, du reste, les mêmes phases, et le principe de la matière, toujours mieux réduit, fut à la fin entièrement dompté. C’était la nature, mais non pas dans son harmonie actuelle ; c’étaient les orages du monde avant son achèvement ; c’était le mystère de la création que célébraient les anciennes mythologies. Leurs rites et leurs histoires sacrées retraçaient les diverses journées de cette grande semaine qui précéda l’homme ; les aventures des dieux en figuraient les évènemens. Le christianisme vint ensuite terminer cette œuvre. Après ces vastes préliminaires, il créa l’homme, pour ainsi dire, une seconde fois, et le rendit à lui-même et au vrai Dieu.

Cette conception des mythologies étonnera par sa nouveauté et son mysticisme ; elle mérite d’être bien comprise. Les mythologies deviennent ainsi pour l’homme déchu une nécessité à laquelle il n’a pu se soustraire, une phase de son histoire qu’il devait inévitablement traverser. On a voulu les expliquer, sinon dans leur contenu,