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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

nous ménage-t-on une seconde représentation de cette honteuse comédie sifflée en 1830, et verrons-nous surgir de vos rangs une nouvelle génération de dieux et de prophètes ?

Qu’est-ce que l’Université ? Car, à force de raisonner en dehors des faits, les partis s’égarent dans leurs utopies, et perdent de vue la réalité. L’Université, c’est l’état enseignant. Nous n’avons pas une religion d’état en France : on peut le regretter, à la bonne heure ; mais c’est un fait. Nous n’avons pas non plus la liberté d’enseignement : qu’on la réclame, on l’obtiendra peut-être ; jusqu’ici on ne l’a pas obtenue. L’état enseigne seul, et il n’a pas de religion d’état ; ses professeurs ne peuvent donc ni enseigner, ni attaquer aucune religion. Je défie qui que ce soit de répondre à ce raisonnement autre chose qu’un sophisme.

Il ne faut pas que les catholiques se plaignent que les philosophes de l’Université n’enseignent pas le catholicisme, ni que les protestans trouvent mauvais que les professeurs de l’Université n’enseignent pas le protestantisme. De pareilles réclamations sont insensées. Plus insensés encore, ceux qui voudraient voir recommencer dans les colléges l’œuvre de l’Encyclopédie, comme si l’état, qui écrit dans la charte liberté et protection pour tous les cultes, pouvait ensuite les faire attaquer par ses professeurs. L’Université fait ce qu’elle doit ; elle a dans tous ses colléges des aumôniers qui enseignent leur religion, et des professeurs de philosophie qui n’enseignent que la philosophie.

Vous pouvez demander aux chambres deux choses, ou la suppression de l’Université, ou la création de colléges particuliers pour chaque religion. Voilà des demandes claires et intelligibles ; tout le reste n’est, de chaque côté, que prétentions insoutenables.

Si l’état se dépouille du droit qu’il exerce aujourd’hui, nous verrons ce que l’enseignement gagnera de moralité à passer dans le domaine de l’industrie. S’il sépare les enfans par culte, et fonde des colléges catholiques, des colléges protestans, des colléges israélites, nous verrons si l’unité nationale en deviendra plus complète, et si on ne luttera pas, dans cinquante ans d’ici, à qui fera ou défera des édits de Nantes. Quant aux Saint-Barthélemy, il faudra sans doute les ajourner un peu plus loin ; les progrès ne vont pas si vite.

Lorsqu’il sera une fois bien entendu que nous avons la liberté d’enseignement, voici ce que nous y gagnerons pour la philosophie, car ce sont là les seuls profits qui nous intéressent, et quand même on perfectionnerait l’éducation littéraire jusqu’à la rendre complète