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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

est porté à croire que le climat de l’Amérique septentrionale a déjà exercé sur les fils des puritains une action qui les rapproche un peu de l’ancien sauvage des forêts américaines. La prédilection pour les grandes images et les vastes métaphores, l’amour de la vie errante, la froideur dans les relations entre les deux sexes, froideur mêlée de dignité, semblent des caractères empruntés aux aborigènes, soit que la température ait modifié la race anglo-saxonne, ou que l’exemple des sauvages ait été contagieux. Dans les romans les plus remarquables de Cooper, le sauvage rouge et le squatter se touchent ou plutôt se confondent. Voilà bien des influences diverses : l’ancienne sève de la race, l’action d’un climat nouveau, la philosophie du XVIIIe siècle, l’esprit démocratique, et enfin l’esprit puritain, dont, comme je l’ai dit plus haut, toutes les traces ne sont pas effacées. Plusieurs scènes rapportées par Marryatt et Dickens rappellent vivement l’époque de Cromwell ; vous croyez quelquefois lire une page de Butler ou un roman de Walter Scott. Par exemple, le dernier de ces voyageurs vous met en face d’un prédicateur qui, ayant été marin dans sa jeunesse, forma une congrégation de marins, planta le drapeau naval sur son église et conserva dans sa chaire toutes les allures d’un capitaine de navire. La première fois qu’il prêcha, on le vit arriver, une grosse Bible in-quarto sous le bras gauche et frappant sur le bois de sa chaire : « D’où viennent ces gens-là ? D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Où vont-ils ? Ah çà ! répondrez-vous ? » Alors il se mit à se promener de long en large dans sa chaire, toujours la Bible sous le bras ; puis il reprit : « Vous venez de là-bas, mes enfans, vous venez de la cale du péché. C’est de là que vous venez. Et où allez-vous ? » Encore une promenade dans la chaire. « Où vous allez ? au perroquet de misaine ! Là-haut !… (forte) ; là-haut !… (fortissimo) ; là-haut !… (rinforzando). C’est là que vous allez, vent frais, filant cent nœuds à l’heure ! » Nouvelle promenade dans la chaire, la Bible sous le bras.

Il y a place pour tout, on le voit, pour le passé comme pour le présent, dans un pays si vaste ; excentricités anglaises, nouveautés françaises, échantillons de mœurs arriérées, y tiennent à l’aise. L’accroissement de la population est proportionnel au cadre énorme qui la renferme. La seule petite ville de Rochester, qui était en 1815 de 331 âmes, est aujourd’hui de 15,000[1]. Elle a plus que triplé

  1. La population de Rochester était, en 1815, de 331.
     en 1818, — 1,049.