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en trois ans ; onze ans lui ont suffi pour atteindre cette multiplication effrayante de vingt-six fois son nombre primitif. Quand on pense que de telles opérations ont lieu sur toute la face de l’Amérique sans que personne s’en doute et sans qu’il y paraisse, on reconnaîtra sur quelle échelle travaille cette société géante et enfant. Elle va si vite et marche à si grands pas, qu’on ne doit point se montrer fort exigeant sur l’élégance de ses poses ; ce qui est certain, c’est qu’elle avance et fait d’énormes enjambées. Elle met bien un peu de puérilité dans ses créations, et elle se hâte d’enterrer toute notre Europe avant que cette dernière soit bien morte ; elle fait des villages qui se nomment Paris et des bourgades qui s’appellent Rome. Ce vieux monde renouvelé, cette géographie ancienne en habits de carnaval, prêtent à la plaisanterie ; Syracuse auprès d’Orléans, Chartres auprès de Memphis, Canton à côté de Venise. Le vieux globe se dédouble ; tout déteint sur cette sphère jeune et inconnue. Vous traversez Troie, vous arrivez à Pontoise ; de là vous passez à Mondaga, à Tchecktawasaga ; vous vous trouvez dans le faubourg de Corinthe, d’où vous arrivez à Madrid ; et successivement Thèbes, Tripoli, Schenectady, Tompkins, Babylone, Londres, Sullivan et Naples passent sous vos yeux. Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le progrès permanent de toutes ces localités. Là où le capitaine Basil Hall avait laissé deux boutiques et une église, Hamilton trouve une bourgade ; trois ans après, miss Martineau y voit une petite ville ; enfin Charles Dickens, deux années plus tard, y admire des hôtels, un théâtre, un mail, un port, une jetée. Cette rapidité de végétation sociale est le miracle de l’Amérique.

Tout cela pousse, si l’on peut se servir d’un mot très vulgaire, comme des champignons. Nous avons l’avantage de voir ce monde politique se faire et s’arranger sous nos yeux. C’est un plaisir. Aussi ne devons-nous pas, si nous sommes équitables, demander à un peuple qui va si vite une société achevée, mais seulement le commencement, l’ébauche et la préparation d’une société. Ne vivez pas, à la bonne heure, dans une forge ou dans une maison qui se bâtit, sous le coup des marteaux qui retentissent, sous l’ardeur des flammes qui


    La population de Rochester était,

    en 1820, — 1,502.
     en 1822, — 2,700.
     en 1825, — 5,273.
     en 1826, — 7,669.
     en 1827, — 8,000.

    (Tabular statistical Views.)