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cadavres ramassés sur la grève avaient été portés dans une fosse commune, creusée à l’angle du cimetière qui touchait de plus près à l’Océan. Le vieux curé avait dit pour eux la messe des morts, sans se soucier de savoir s’ils avaient été durant leur vie catholiques ou protestans. Ce fut lui qui, après les avoir bénis dans leur dernier asile, jeta sur eux la première pelletée de terre ; sir George jeta la seconde ; puis, quand le fossoyeur eut achevé l’œuvre, au milieu du silence et du recueillement des assistans, sir George planta lui-même sur le sol fraîchement remué qui recouvrait ses frères une croix de bois qu’il avait enveloppée des lambeaux du pavillon anglais. Après leur avoir dit une dernière fois adieu, il s’éloigna à pas lents, et la petite caravane reprit le chemin du château.

Le souper fut court, triste et silencieux, véritable repas des funérailles. D’ailleurs, à part les impressions lugubres qu’ils avaient rapportées, tous les convives étaient harassés. La nuit et le jour qui venaient de s’écouler avaient été rudes et laborieux pour tous. N’étant plus exalté par le sentiment impérieux des devoirs qu’il venait de remplir, sir George se soutenait à peine.

Jeanne était la seule qui ne sentît point de lassitude ; chez elle, l’émotion et la curiosité, le charme du nouveau, l’attrait de l’inconnu, avaient triomphé de la fatigue. Retirée dans sa chambre, au lieu de chercher le repos, elle resta long-temps accoudée sur l’appui de sa fenêtre, à contempler le magique tableau qui se déroulait devant elle. La tempête s’était calmée : la lune montait, pleine et radieuse, dans l’azur du ciel rasséréné ; l’Océan quittait ses rivages, et, mystérieusement attiré, gonflait son sein encore ému, comme pour aller se suspendre aux lèvres de sa pâle amante. À la même heure, Joseph veillait de son côté, en proie à un malaise et à une oppression qu’il ne savait comment s’expliquer. Ainsi que Jeanne, il avait été frappé de la distinction de sir George ; plus d’une fois, durant la soirée, il avait surpris les regards de sa nièce attachés sur le jeune étranger, et il souffrait sans deviner pourquoi.

Jeanne veilla bien avant dans la nuit. Lorsque enfin le sommeil lui eut fermé les paupières, elle vit passer dans ses rêves, sous des traits vagues et confus qu’elle crut pourtant reconnaître, tous les types gracieux que les livres lui avaient récemment révélés.