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sâtre. Tenus à l’ombre, ils se décolorent et prennent une sorte de nuance neutre d’un blanc jaunâtre. Un ou deux caméléons figureraient à merveille dans le laboratoire d’un alchimiste ou d’un docteur Faust. En Andalousie, l’on pend à la voûte une cordelette d’une certaine longueur, dont on remet le bout entre les pattes de devant de l’animal, qui commence à grimper, et grimpe jusqu’à ce qu’il rencontre le plafond, où ses griffes ne peuvent s’accrocher. Alors il redescend jusqu’au bout de la corde, et mesure, en tournant un de ses yeux, la distance qui le sépare de la terre ; puis, tout bien calculé, il reprend son ascension avec un sérieux et une gravité admirables, et ainsi de suite indéfiniment. Quand il y a deux caméléons à la même corde, le spectacle devient alors d’une bouffonnerie transcendantale. Le spleen en personne crèverait de rire à contempler les contorsions, les regards effroyables des deux vilaines bêtes, lorsqu’elles se rencontrent. Curieux de me procurer ce divertissement en France, j’achetai une couple de ces aimables animaux, que j’emportai dans une petite cage ; mais ils prirent froid dans la traversée et moururent de la poitrine à notre arrivée à Port-Vendre. Ils étaient devenus étiques, et leur pauvre anatomie se faisait jour à travers leur peau flasque et ridée.

À quelques jours de là, l’annonce d’une course, la dernière, hélas ! que je dusse voir, me fit retourner à Jérès. Le cirque de Jérès est très beau, très vaste, et ne manque pas d’un certain caractère architectural. Il est bâti en briques relevées de bandes de pierre, mélange qui produit un bon effet. Il y avait une foule immense, bigarrée, diaprée, fourmillante, un grand mouvement d’éventails et de mouchoirs. — Nous avons déjà décrit plusieurs courses, et nous ne rapporterons de celle-ci que quelques détails. — Au milieu de l’arène, se dressait un poteau terminé par une espèce de petite plate-forme. Sur cette plate-forme se tenait accroupi, en faisant des grimaces, en brochant des babines, un singe fagotté en troubadour, et retenu par une chaîne assez longue qui lui permettait de décrire un cercle assez étendu, dont le pieu était le centre. Lorsque le taureau entrait dans la place, le premier objet qui lui frappait les yeux, c’était le singe sur son juchoir. Alors se jouait la comédie la plus divertissante : le taureau poursuivait le singe, qui remontait bien vite à sa plate-forme. L’animal furieux donnait de grands coups de cornes dans le poteau, et imprimait de terribles secousses à M. le babouin, en proie à la plus profonde terreur, et dont les transes se traduisaient par des grimaces d’une bouffonnerie irrésistible. Quelquefois même,