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Après le roman est venue la littérature pittoresque ; qu’on nous pardonne ce nom de baptême. Jusqu’à ce jour, la gravure, à peu d’exceptions près, s’était bornée à la traduction des œuvres de la peinture. La difficulté, la longueur du travail sur cuivre, sur acier et à l’eau forte, élevaient assez haut le prix des produits de la gravure. Mais la lithographie et la gravure sur bois, bien moins difficiles d’exécution et bien moins coûteuses, ont retiré cet art de la position secondaire où il se trouvait. Les estampes se sont adressées, par le bas prix, à toutes les classes de la société, aux grandes comme aux petites bourses. La lithographie surtout pénétra en tous lieux ; elle contribua largement, par ses bacchanales de toute sorte, à la démoralisation des esprits ; elle alla chasser l’ange gardien du chevet de la jeune fille, éconduire le poète de son livre, le dramaturge de son dialogue. Au train dont elle va, nous n’aurons bientôt plus qu’un art et qu’une langue écrite, la lithographie.

Nous lui passerions encore ses albums, ses voyages, ses caricatures, ses keepsake, ses vues, ses paysages, ses matins, ses couchers, ses musées, ses femmes nues, ses Julia, ses Éléonore ; tout cela peut être son domaine. L’art, et encore moins la critique, n’ont rien à revendiquer là dedans. On sait à quoi s’en tenir sur l’étiquette. Nous concevons même que des journaux se soient fondés, dont la lithographie est le principal élément de succès, dont tout l’esprit est dans la caricature, qu’on lit d’un coup d’œil et qu’on rejette ensuite. Toutes ces choses portent leur justification avec elles ; leurs intentions sont claires, et le goût public n’y est pas trompé.

Mais la lithographie et ensuite la gravure sur bois, importation du mauvais goût et de l’esprit industriel de l’Angleterre, sont sorties de leurs attributions ; elles sont venues se mêler à la littérature, elles ont pris une place dans les œuvres de l’esprit ; d’abord associées suppliantes et timides, elles ont fini par chasser la littérature du logis et par prendre la première place dans les livres. Bientôt tous les auteurs de quelque réputation, vivans ou morts, se sont vus impitoyablement illustrés. L’illustration est devenue un prétexte pour écouler d’anciennes éditions ou pour en faire de nouvelles ; les livres sérieux, qui s’adressent surtout aux hommes d’étude, se sont vus contraints d’entrer dans cette mascarade universelle et de subir les culs-de-lampe et les vignettes. Jamais aucun siècle n’avait poussé aussi loin que le nôtre cette débauche d’illustrations mercantilement conçues, qui ne profitent pas même à l’art de la typographie.

On ne saurait dédaigner avec raison les belles éditions de luxe, les