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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

belles œuvres typographiques ; mais, outre qu’elles ne peuvent réussir que dans les contrées où il existe une aristocratie assez intelligente pour les reconnaître, assez riche pour les payer, jamais la moindre pensée d’art sérieux n’a préoccupé nos éditeurs. Ils ne mettent pas leur gloire à conquérir la réputation des Pannartz, des Alde, des Elzevier, ni même des Didot. Ils sont beaucoup plus modestes, ils n’ont voulu faire que du bon marché, de la marchandise courante. Ils ont vu que la vente par livraisons accompagnées de gravures réussissait au-delà de toute espérance, ils ont compris que le public se prêtait volontiers à cet impôt déguisé, très modique en apparence et en réalité très onéreux.

Quels peuvent donc être aujourd’hui les titres de la gravure pour s’immiscer aussi largement dans les œuvres de l’intelligence ? Est-elle une langue plus perfectionnée, plus sublime ? a-t-elle des beautés supérieures à celles de la poésie ?

Au moyen-âge, lorsque les livres étaient fort rares et par conséquent la classe des lecteurs excessivement restreinte et peu cultivée, on conçoit que les enluminures, que les représentations figurées vinssent commenter le texte, le plus souvent incompréhensible pour les intelligences simples. C’était l’époque où un évêque de Limoges appelait la cathédrale, avec ses innombrables sculptures, l’évangile des sens. Mais aujourd’hui l’image, premier alphabet des peuples, est le moyen le plus imparfait de s’adresser à l’esprit. Il faut la laisser dans les chaumières, là où elle est l’unique lecture des pauvres gens. Elle y a remplacé la ballade, qui meurt chaque jour dans la mémoire des rapsodes rustiques. La poésie, à défaut de l’art, ne peut s’empêcher d’approuver ces grossières, mais touchantes représentations de piété religieuse ou de gloire nationale. Par ces figures coloriées, suspendues au-dessus de la cheminée, entre la branche bénite, la faucille et l’épi de la Fête-Dieu, l’esprit du paysan se trouve ramené à la pensée d’un autre monde. Devant ces tableaux achetés aux foires, le travailleur entrevoit, vaguement il est vrai, mais enfin il entrevoit de grands personnages dont l’histoire exacte lui est inconnue. Ni le poète ni l’homme politique ne doivent mépriser les solennelles batailles de l’empereur à deux sous, en songeant qu’elles consolent les souvenirs du vieux soldat, et qu’elles entretiennent des traditions de courage parmi les fils ignorans de la charrue. On est tenté de s’incliner avec respect devant ces bonnes Vierges, si vigoureusement enluminées, qui surmontent le lit de paille des ménagères ;