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vant la chambre des pairs de trois changemens essentiels consentis par lord Aberdeen dans l’exécution des traités. Eh bien ! sur tous ces points, M. Guizot était trahi par les infidélités de sa mémoire. Les conventions alléguées par M. Thiers existaient conformément à son dire ; le droit de visite avait été étendu et aggravé ; lord Aberdeen s’était prononcé à l’avance et péremptoirement contre toute révision ; les anciens traités n’avaient reçu aucune modification, et notamment le nombre des croiseurs anglais n’était pas réduit de moitié, mais d’un sur quarante-neuf. N’est-il pas fâcheux que de telles méprises échappent à un ministre ? Elles infirment la gravité de sa parole, et permettent à ses adversaires de révoquer en doute sa véracité, ce qui est une insinuation évidemment calomnieuse.

À mon avis, si la paix peut être compromise, c’est par M. Guizot. Ses amis eux-mêmes le reconnaissent en gémissant. Ne les a-t-on pas entendus affirmer que la question du droit de visite n’avait acquis de l’importance que par les inimitiés conjurées contre lui, et qu’avec tout autre elle aurait passé inaperçue ?

À l’intérieur, son désaccord avec l’opinion produit des résultats analogues. Écoutez encore les amis du ministère ; ils vous diront que le nom de M. Guizot a fait perdre bien des voix à l’ancienne majorité. Que de candidats n’ont échappé à une défaite qu’en le désavouant ! J’en connais qui, par une honorable loyauté, sont allés lui confier leurs anxiétés et le danger qui les menaçait, et je lui dois la justice d’ajouter qu’il les a autorisés et encouragés à se séparer de lui… pendant la lutte électorale.

Dans une telle situation, c’est au parti conservateur de consulter l’intérêt véritable de la cause qu’il défend : lui aussi est intelligent et sensé ; qu’il prononce. Je serais presque tenté de faire un appel à M. Guizot lui-même. Le nom de Robert Walpole a été prononcé dans la question du droit de visite ; ce n’est pas moi qui l’introduis dans ce débat. Il rappelle un souvenir qui devrait porter avec lui son enseignement. Walpole préféra le pouvoir au succès de ses convictions, et consentit, pour le garder, à des mesures qu’il n’approuvait point. Il ne fit que retarder sa chute. Il est des jours où il faut savoir préférer l’avenir au présent ; la petite ambition s’attache aux portefeuilles et tient au pouvoir pour lui-même ; la grande ambition ne le considère que comme un moyen et lui demande, non des satisfactions d’un jour, mais l’intérêt du pays et la gloire personnelle.

La chambre est inquiète, partagée, mécontente ; elle ne se sent pas dans une situation régulière et normale ; il est temps de mettre un terme à ces embarras. Un nouveau ministère, j’en suis convaincu, pourrait aisément composer une majorité considérable. Je connais bon nombre de députés que rallierait sur-le-champ une administration modérée et conciliante à l’intérieur, prudente, mais ferme au dehors. Le moment est propice, mais plus tard de nouveaux partis se formeraient, des arrangemens pourraient se prendre. À une majorité violente, parce qu’elle serait faible, répondrait une opposition ardente