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LA FLORIDE.

deux planteurs ennemis se rencontrent dans la rue, et engagent publiquement un combat au pistolet et au poignard. Leurs amis, leurs esclaves, prennent part à la lutte, et si l’un d’eux est tué, l’assassin en est quitte pour se retirer pendant quelque temps sur ses terres, où nul n’oserait l’inquiéter.

Ces habitudes de violence prennent dans la classe inférieure un caractère de véritable férocité. Les squatters, dont Cooper nous a si pittoresquement décrit les habitudes errantes, passent leur vie dans les bois. Là, livrés à eux-mêmes, bravant les lois qui ne sauraient les atteindre, sans frein religieux qui les arrête, ils ne reconnaissent d’autre puissance que la force, d’autres plaisirs que l’assouvissement des plus brutales passions. Grands, robustes et comme remplis d’une énergie surabondante, ces hommes à peine civilisés semblent sans cesse tourmentés par le besoin de se battre. À chaque instant, leur conversation est interrompue par des cris de guerre empruntés aux Indiens. Souvent un jeune homme se rend à cheval sur la place du marché, et après s’être frappé les flancs avec les bras en imitant le chant du coq, il s’écrie : « Je suis un cheval, mais je défie qui que soit de me monter. » Il est bien rare que ce défi ne soit pas entendu, et, sans autre raison, commence une lutte où le bâton ferré, le poignard, le pistolet et le rifle ou longue carabine jouent un rôle actif et meurtrier. Le squatter vit habituellement du produit de sa chasse ; tout au plus sème-t-il quelques poignées de maïs dans le premier champ venu, sans s’inquiéter en rien du propriétaire. Si celui-ci s’avise de réclamer, on lui répond par un coup de carabine. Élevés dans l’idée que les Indiens ont usurpé une terre qui leur appartient, les squatters sont toujours prêts à partir pour la chasse au sauvage, et pour eux comme pour les Caraïbes la chevelure enlevée à un ennemi vaincu est un trophée dont ils se parent avec orgueil.

Quand les Espagnols abordèrent dans ces contrées, ils y trouvèrent une population nombreuse dont les institutions et les mœurs annonçaient un degré assez avancé de civilisation. Partagés en nations distinctes, les indigènes vivaient sous l’autorité de chefs héréditaires. Ils reconnaissaient une caste guerrière dont les membres pouvaient seuls avoir plusieurs femmes. La polygamie était interdite au reste de la nation. L’adultère entraînait les peines les plus sévères, et, bien loin d’être réduites à l’état d’avilissement qu’on observe chez presque toutes les nations sauvages, les femmes pouvaient être revêtues des plus hautes fonctions. Lorsque Fernand de Soto arriva dans la province de Cofaciqui, il la trouva gouvernée par une jeune princesse