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REVUE. — CHRONIQUE.

pour l’éteindre. Quant au projet de la majorité de la commission, il s’est produit d’une manière trop soudaine pour être accepté par la chambre, qui n’en saisit pas clairement le mécanisme. L’avis de la minorité reste donc seul en présence du remède héroïque proposé par le gouvernement. M. de Lamartine a prétendu concilier la concession de l’indemnité avec le maintien facultatif de la sucrerie indigène, et n’a pas compris qu’il ôtait ainsi à un principe désastreux par lui-même sa seule excuse politique, celle d’une solution définitive et sans appel. L’expropriation pour cause d’utilité publique pourrait seule permettre d’écrire ce mot funeste d’indemnité dans notre législation industrielle. Quant à nous, peu ébranlés par les motifs produits jusqu’ici, et conservant nos convictions pleines et entières, nous espérons encore que la chambre repoussera la mesure qui lui est si tardivement proposée, et qu’elle réservera son marché aux deux sucres nationaux en les plaçant dans des conditions égales. En agissant ainsi, elle ne rencontrera l’approbation enthousiaste ni des colonies ni des manufacturiers alléchés par les 40 millions ; mais elle fera un acte de haute prévoyance politique, et elle obtiendra, dans un prochain avenir, les sympathies qui lui seront aujourd’hui refusées. Lorsque deux intérêts égoïstes sont en présence, ne satisfaire complètement personne est le moyen le plus sûr pour faire les affaires de tout le monde.

Une grande question récemment résolue vient de projeter un jour nouveau sur la situation des cours européennes. La Russie a obtenu un triomphe complet dans les négociations ouvertes à Constantinople sur les affaires de Servie. Cédant à l’impulsion nationale qui agite les provinces chrétiennes de l’empire ottoman, la Servie s’était débarrassée, par une insurrection triomphante, d’une dynastie impopulaire, et avait appelé à sa tête le fils du premier libérateur de son territoire, l’expression du génie serbe dans son énergie et sa pureté. C’est cette résurrection d’une nationalité indépendante qui a offusqué le cabinet de Saint-Pétersbourg, c’est à cette manifestation qu’il a cru devoir s’opposer en arguant de son protectorat et des droits qui lui sont assurés par les traités. Celui d’Andrinople, confirmé par un acte organique de 1839, consacre en effet, pour la principauté de Servie, le principe d’une élection populaire selon des formes déterminées, et l’on ne saurait méconnaître que ces formes constitutionnelles n’ont pas été respectées dans le mouvement révolutionnaire dont Belgrade a été le théâtre. La Russie pouvait donc, jusqu’à un certain point, argumenter de la lettre des traités, et c’est ce que paraît avoir fait très habilement M. de Boutenieff. Mais si l’Europe avait été disposée à suivre l’impulsion que sir Strafford Canning parut d’abord vouloir imprimer à l’action de ses représentans à Constantinople, il ne lui aurait pas été difficile de trouver dans la lettre et l’esprit de ces mêmes traités des argumens à opposer aux exigences de la Russie. Si elle ne l’a point essayé, c’est qu’elle a reculé devant l’ascendant chaque jour mieux établi en Orient du cabinet impérial, c’est que M. de Metternich ne veut pas s’exposer à une collision que la Russie se déclarait prête à affronter, et que l’An-