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gleterre est bien moins éloignée qu’on ne le suppose des voies du 15 juillet 1840. L’attitude et les procédés sont différens ; mais il y a dans cette politique russe un côté que le parti tory accepte sans hésiter, et dont la France ne parviendra point à détourner le cabinet britannique. Celle-ci s’est donc trouvée seule encore une fois entre la timidité de l’Autriche et l’égoïsme de l’Angleterre. Si elle a sagement fait de ne pas entamer, à l’occasion d’un intérêt fort secondaire pour elle, une campagne diplomatique qui ne pouvait avoir une heureuse issue, elle aurait grandement tort, si l’issue de cette affaire ne lui servait de révélation sur les dispositions intimes des grandes cours. La France est seule, malgré la prétendue reprise de l’alliance anglaise, et le cabinet britannique n’oubliera jamais ce qui lui a été révélé en 1840, qu’il y a deux politiques à faire en Orient : avec la France, une politique de conservation ; avec la Russie, une politique de complicité. On dit l’ambassadeur d’Angleterre près la Porte ottomane profondément affligé de l’issue de cette affaire. Comment ne l’a-t-il pas prévue ? Comment pouvait-il croire que son gouvernement, avec ses finances compromises, l’hostilité imminente des États-Unis et l’état de l’opinion publique en France, s’engagerait dans une querelle sérieuse avec la Russie ? Voici d’ailleurs l’Irlande qui agite de nouveau ses haillons et ses bras nus, voici le cri du repeal qui retentit dans toutes les vallées de la verte Érin. M. O’Connell a quitté son siége à Westminster pour commencer une nouvelle campagne d’agitation et reprendre les erremens de 1825, oubliés depuis l’avénement du ministère whig et la réforme parlementaire. C’est là cependant, nous le croyons, un mouvement beaucoup moins profond que celui de l’association catholique et des jours de l’émancipation. Aujourd’hui, les grandes conquêtes législatives sont faites, et les positions dont l’Irlande est maîtresse suffiraient pour la faire bientôt admettre à la plénitude du droit commun et de l’égalité entre les deux royaumes ; le rappel de l’union est plutôt une menace qu’un vœu populaire, c’est moins un plan politique qu’une arme de guerre, et M. O’Connell le premier ne quitterait pas sans regret la chapelle de Saint-Étienne, d’où sa voix plane sur les destinées du monde, pour venir faire à Dublin les affaires d’un état de second ordre et d’une population de huit millions d’ames. Néanmoins, malgré le caractère d’abord factice de ce mouvement, il prend, depuis quelques mois, des proportions qui ne sauraient échapper à personne. L’Irlande est tellement organisée pour l’agitation depuis un demi-siècle, qu’elle est devenue comme l’état normal de ce pays ; l’Angleterre n’est donc libre d’en détourner ni son attention ni ses forces, car, après une trêve de dix ans, M. O’Connell vient de rattacher au pied de sir Robert Peel le boulet redoutable que tous les cabinets anglais ont porté tour à tour. Sous ce rapport, l’agitation pour le rappel est un évènement des plus graves dans la politique générale de l’Europe.

La mauvaise humeur que doivent causer à l’Angleterre les dispositions chaque jour plus prononcées de nos chambres contre un traité de commerce, dispositions que la discussion actuelle sur les sucres a plus d’une fois révé-