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est un de ces écrivains irrités dont la colère est singulièrement éloquente. En 1823, Kollar s’annonça à la Bohême comme son poète national, et depuis vingt ans il n’a pas cessé de communiquer à ses frères l’enthousiasme de son ardente imagination et de sa poésie souvent grandiose. Tout récemment il vient de publier un Voyage en Hongrie ; c’est un cri de douleur poussé avec une énergie sauvage. Kollar voudrait être un tribun, un agitateur, et c’est peut-être à lui que M. de Thun fait allusion dans les lignes que j’ai citées plus haut. Il ne s’attaque pas seulement aux Hongrois, à ceux qui veulent imposer la langue magyare aux Esclavons et aux Croates et étouffer leurs traditions ; il n’est pas moins véhément contre la race allemande. Il a hâte de voir se reformer l’esprit national chez son peuple, et il frappe tout ce qui lui fait obstacle. Il faut le suivre dans ce douloureux pèlerinage de Hongrie ; quelles sombres colères, quels longs ressentimens il amasse dans son cœur, lorsqu’il voit, comme il dit, le pied impie du Magyare ou de l’Allemand écraser ces germes de vie qui lèvent librement, en Bohême, dans les sillons de la plaine et parmi les bruyères de la montagne ! Mais tout à coup, dans une cabane, au détour d’un chemin, s’il entend une chanson esclavonne, son cœur tressaille ; il va frapper sur l’épaule du montagnard : « Dieu merci, mon brave homme, vous n’avez pas oublié la langue de vos pères ! » Et il reprend sa route, toujours plein d’espoir et de haine.

Comment finira cette lutte ? Comment se dénoueront ces difficultés ? Par l’épée, ou pacifiquement, par l’influence toujours croissante des Slaves Autrichiens ? On ne saurait le dire. Les Magyares ont contre eux ces secrètes inspirations qui s’emparent des peuples à de certaines heures, et qui poussent aujourd’hui les Slaves d’Allemagne à se constituer comme une race distincte ; ils ont pour eux, avec la possession du pouvoir, leur courage, leur fierté hautaine, toutes les qualités d’une aristocratie victorieuse. S’ils devront un jour mettre l’épée à la main, c’est ce qu’il est difficile d’affirmer ou de nier. Tout est possible, tout peut arriver dans les changemens qu’amèneront tôt ou tard les affaires de Turquie. Ce qui est certain, c’est que leurs adversaires iront toujours s’organisant, et que déjà leur ambition est assez grande pour qu’ils espèrent amener l’Autriche à former un jour un empire slave.

On voit par ce seul mot quel chemin l’Autriche a déjà fait dans cette direction qu’elle suit loin de l’Allemagne. Quoi ! elle était chargée de soumettre à l’influence germanique ces populations