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FERNAND.

un conseil, tu n’étais décidé par avance à ne suivre que ta fantaisie. D’ailleurs c’est l’avis d’Arabelle qu’il faudrait avoir en ceci. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’en amour comme en politique, mieux vaut sauter par la fenêtre, au risque de se rompre le cou, que de se laisser mettre à la porte et traîner dans les escaliers. Je pense aussi qu’en tranchant le nœud gordien, Alexandre-le-Grand a voulu montrer aux amans de quelle façon ils s’y doivent prendre pour dénouer le lien qui les blesse.

FERNAND DE PEVENEY À KARL STEIN.

Par goût et par tempérament, je répugne aux partis extrêmes. Souffre donc que je m’obstine à suivre la ligne de conduite que je me suis tracée ; c’est une voie lente, mais sûre. Avec un peu de patience et de ménagement, les choses auront leur cours naturel, et s’éteindront sans éclat et sans bruit. Je n’en suis déjà plus aux élans de la passion ; j’ai quitté les cimes brûlantes pour les régions tempérées et sereines. Je ne désespère pas d’y amener doucement Arabelle. Bien qu’elles se ressentent de cette sourde inquiétude qui précède la fin du bonheur, ses lettres sont plus calmes que je ne devais raisonnablement m’y attendre. Elle en arrivera d’elle-même à comprendre la nécessité d’une séparation ; l’idée que j’en souffre autant qu’elle, et que j’immole mon bonheur au soin de son repos, en vue de sa propre gloire, exaltera ses forces et lui rendra la résignation plus facile. Le temps et le monde feront le reste.

Je respire enfin, je commence à renaître. J’ai subi l’influence de la terre natale ; le silence des champs est descendu peu à peu dans mon cœur. Ami, la nature est bonne ; vainement avons-nous négligé son culte et porté loin d’elle nos désirs et nos ambitions ; mère indulgente, nous n’avons qu’à lui revenir pour qu’elle nous ouvre aussitôt son sein. Heureux qui sait borner sa vie à l’aimer et à la comprendre !

Ma maison s’élève à mi-côte sur le bord de la Sèvres nantaise, dans un petit coin de ce bas monde qu’on peut dire chéri du ciel. Je t’en ai parlé souvent ; mais moi-même qu’en savais-je alors ? Ce n’est qu’au retour des longues absences, lorsqu’on a pleuré et souffert au loin, qu’on aime et qu’on apprécie sa patrie. Tu n’as vu nulle part de plus belles eaux, ni de plus frais ombrages ; nulle part, tu n’as rencontré de plus riantes solitudes. Les visiteurs que ce pays attire