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FERNAND.

solée de son époux. Il n’en était rien ; comme tous les sentimens profonds, sa douleur discrète et voilée se laissait à peine deviner. À la gravité d’une vertu toute romaine, elle joignait les graces naturelles de l’esprit et de la beauté. Elle portait un mort dans son cœur ; mais elle était pareille à ces tombes agrestes qui, n’étalant ni monument ni inscriptions funèbres, se cachent humblement sous un tertre de fleurs et de verdure. J’accompagnais mon père au château ; souvent j’y allais seul. J’étais jeune : mes sens et mon imagination s’éveillaient ; j’avais les inquiètes ardeurs de mon âge, qu’irritaient encore le silence des champs et la solitude où j’avais grandi. Je voyais Mme de Mondeberre à peu près tous les jours ; nous avions, le soir, de longs entretiens sous les marronniers du parc. Nous allions parfois avec sa fille nous asseoir sur le bord de l’eau. Eh bien ! tel était le sentiment de respect et d’admiration que m’inspirait cette noble créature, qu’il ne m’est pas arrivé de me sentir une seule fois ému ou troublé par le charme de sa personne, ni d’emporter, en la quittant, une pensée que j’aurais craint d’avouer hautement devant elle. — Mon père mourut. Mme de Mondeberre m’aida et me soutint dans cette grande épreuve : en pleurant avec moi, elle rendit mes larmes moins amères. Je me rappelle encore ses paroles pleines de douceur, ses conseils remplis de sagesse. — Nous devons, me disait-elle, honorer les êtres que nous avons aimés, moins par nos sanglots que par nos actions, en songeant sans cesse que, tout morts qu’ils sont, ils nous voient ; que, tout heureuse et toute détachée qu’elle est des choses d’ici-bas, leur ame peut souffrir de nos fautes. — La foi et la piété respiraient dans tous ses discours, avec l’espoir d’une vie meilleure où Dieu réunit pour l’éternité les ames fidèles qui se sont aimées sur la terre. Je ne me lassais pas de l’entendre : en l’écoutant, je me sentais plus fort et consolé.

Cependant je ne tardai pas à être repris de cette turbulente inquiétude à laquelle la mort de mon père avait d’abord imposé silence. Un brûlant désir de voir et de connaître s’empara tout à coup de mon cœur et de tous mes sens. J’étais libre, maître de ma fortune et de ma destinée. Décidé à partir pour Paris, je fis part de mon projet à Mme de Mondeberre, qui n’en parut point surprise. — Vous voulez partir, me dit-elle ; c’est tout simple, la curiosité sied à votre âge : il est bon, d’ailleurs, qu’un homme sache le monde et la vie. Partez donc. À votre retour, vous apprécierez mieux les biens que vous allez quitter. — Puis elle me parla longuement de ce monde et de cette vie nouvelle que j’allais aborder. Tandis que nous causions, Alice, sa