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fille, se tenait près de nous, debout, silencieuse, immobile. Cette enfant m’aimait, et je l’aimais aussi comme un doux reflet de sa mère. Lorsqu’elle savait que je devais venir, elle allait m’attendre au bout du sentier, courait à moi du plus loin qu’elle m’apercevait, et, me prenant par la main, m’amenait triomphante au château. Cette fois, il me fut impossible d’obtenir d’elle un sourire, ni même un regard. Je voulus l’attirer, mais elle s’échappa de mes bras. La veille de mon départ, j’allai faire mes adieux à Mme de Mondeberre. Tous les détails de cette soirée sont aussi présens à mon esprit que s’ils dataient d’hier seulement. Le jour tombait, on touchait à la fin d’octobre ; quand j’entrai, un grand feu clair brillait dans l’âtre ; la châtelaine était assise dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte. Sans se lever, elle me tendit la main et me fit asseoir auprès d’elle ; elle m’entretint encore une fois de la mer semée d’écueils sur laquelle j’allais m’aventurer ; sa voix était plus grave et plus tendre que d’habitude. S’en étant retirée de bonne heure, elle ne savait guère du monde que ce que j’en savais moi-même ; mais elle avait beaucoup réfléchi, et, me voyant près de quitter nos campagnes pour aller, sans guide et sans appui, me mêler, si jeune encore, aux flots des hommes et des choses, elle en éprouvait comme un sentiment de maternel effroi. Tandis qu’elle parlait, le vent d’hiver remplissait le parc d’harmonies lugubres. J’entendais le bruit sec et morne des feuilles desséchées ; je voyais sur la cime des arbres se balancer de noirs corbeaux. Je fus saisi d’une grande tristesse, et de sombres pressentimens m’assaillirent ; mais ma résolution était prise, et Mme de Mondeberre elle-même semblait envisager ce départ comme une nécessité. — Adieu donc ! me dit-elle, nous prierons le ciel pour qu’il vous donne toutes les félicités que vous méritez. — Avant de me retirer, je demandai à embrasser Alice, qui n’avait point encore paru. Sa mère l’envoya chercher ; on l’amena presque malgré elle. — Enfant, lui dis-je, vous ne m’aimez donc plus ? À ces mots, elle fondit en pleurs. Je partis ; je n’avais point d’amour pour Mme de Mondeberre, Alice comptait au plus dix ans ; je partais libre de tous liens. D’où venait donc cette voix mystérieuse qui, tandis que je m’éloignais, de loin en loin me criait brusquement que je tournais le dos au bonheur ?

Hélas ! durant ces sept années, les ai-je assez souillés et profanés, ces purs et chastes souvenirs ! Aussi, n’ai-je point encore osé porter mes pas vers Mondeberre, tant je me reconnais indigne de rentrer dans ce saint asile. Il m’a semblé qu’auparavant je devais m’imposer