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FERNAND.

que sa vie. En même temps ma conscience exaltée souleva contre moi toutes les tentations, tous les souhaits criminels qui s’étaient glissés, souvent à mon insu, dans les replis ténébreux de mon cœur. Ces réflexions furent si rapides, qu’en moins d’une seconde le cri de délivrance que j’avais poussé se changea brusquement en un cri d’épouvante. Je m’informai de la direction qu’avait prise Arabelle en sortant ; je me précipitai sur ses traces. La terreur, la pitié, le remords, étouffaient en moi la voix de la haine, et jusqu’au sentiment de ma propre infortune ; je n’étais plus qu’un amant éploré courant après sa maîtresse infidèle. J’interrogeais tous les passans que je rencontrais sur ma route ; je prêtais l’oreille à tous les bruits ; mon regard plongeait dans tous les abîmes ; je criais le nom d’Arabelle à tous les échos. Je m’arrêtais, j’écoutais, je reprenais ma course haletante. La nuit me surprit, une nuit sombre, sans lune et sans étoiles. J’allais toujours. — Arabelle ! Arabelle ! — Rien ne me répondait que les plaintes du vent, qui me faisaient parfois tressaillir et glaçaient mon sang dans mes veines. Je venais de m’asseoir, désespéré, quand j’aperçus à peu de distance une lumière qui brillait à travers les arbres. J’y courus : des chiens aboyèrent à mon approche. C’était une pauvre cabane adossée contre la montagne. Je poussai la porte, j’entrai et je vis, près d’un feu de pommes de pin qu’on avait allumé pour la réchauffer, une femme accroupie, les cheveux épars, le visage meurtri : c’était elle. Des pâtres l’avaient recueillie demi-morte sur le bord d’un sentier. Dans ma joie de la retrouver vivante, j’allai m’agenouiller à ses pieds, je l’enlaçai de mes bras ; comme autrefois, je l’appelai des noms les plus tendres. Elle, cependant, ses grands yeux attachés sur moi avec cette fixité du regard particulière à la folie, ne répondait à mes paroles que par un doux sourire étonné, mille fois plus effrayant que les emportemens de la colère. Je la crus folle, je me crus moi-même près de perdre la raison. — Parle-moi ! réponds-moi ! m’écriai-je avec désespoir. C’est moi, c’est Fernand qui t’aime ! — À ces mots, passant une main sur son front, de l’air d’une personne qui cherche à se ressouvenir, elle resta quelques instans à m’examiner avec inquiétude ; puis tout d’un coup ses traits se contractèrent, un cri terrible sortit de sa poitrine, elle s’arracha de mes bras, et tomba raide sur le carreau.

Je la relevai et la portai au grand air. Le froid de la nuit la réveilla. Je l’avais déposée sur l’herbe et je réchauffais ses mains glacées sous mes baisers. Revenue à elle, son premier mouvement fut de s’enfuir ; je la retins par une étreinte passionnée. — Fernand,