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franchement la position que je me suis faite et ne me permettrai plus une plainte ni même un regret. Arrivé à Florence, j’écrirai aussitôt à Mme de Mondeberre. Je lui dirai que ma destinée est accomplie et que la patrie ne me reverra plus. Alice est jeune ; en supposant qu’elle soit atteinte, son ame se relèvera promptement. C’est à la blessure la plus large et la plus profonde qu’appartiennent mes soins et mes veilles. Ma place est auprès d’Arabelle, et je n’ai plus désormais d’autre tâche que de m’oublier en vue de son repos. La bonté peut suppléer l’amour ; je trouverai ma récompense dans le sentiment de mon abnégation et dans la conscience de mes sacrifices. Il est impossible qu’on ne finisse pas par aimer l’être auquel on se dévoue ; du moins on aime son propre dévouement, et c’est assez. Depuis que j’ai compris mes devoirs et que je m’y soumets sans arrière-pensée, je me sens mieux avec moi-même, et je recueille déjà les fruits de ma résolution. Je suis mort au bonheur, mais le bonheur n’est pas une condition d’existence ; c’est même une chose assez peu commune pour qu’on se résigne à ne le point avoir. Adieu donc, et pour toujours adieu, rêves charmans que je viens d’ensevelir ! Adieu pour la dernière fois, jeune et gracieuse image trop long-temps caressée ! je ne me pencherai plus sur mon cœur pour vous contempler ; mes regards ne vous chercheront plus dans le ciel désert.

J’organise notre vie et travaille sérieusement à mettre un peu d’ordre dans tout ce désordre. La santé d’Arabelle m’inspire de vives inquiétudes. J’ai décidé que nous irions dresser notre tente, soit à Pise, soit dans une des petites villes qui bordent la Rivière de Gênes. Nous vivrons là ignorés et paisibles. J’aurai pour Arabelle la tendresse qu’on a pour un enfant malade ; je ne désespère pas de l’amener insensiblement à prendre son amour pour le mien, ni de la voir bientôt renaître sous mes soins et sous ce doux ciel. Nous appellerons l’étude à notre aide ; nous lirons les poètes italiens ; nous aurons des fleurs, des livres et du soleil. Pour être heureux, il ne nous manquera que le bonheur ; je veillerai à ce qu’Arabelle n’en sache rien, et moi-même je l’oublierai peut-être en assistant à sa résurrection. Je n’y arriverai pas en un jour ; j’y tendrai incessamment de tous les efforts et de toutes les facultés de mon être. Je ne me dissimule aucune des difficultés de la tâche que je m’impose ; Dieu, qui voit mes intentions, me soutiendra dans cette entreprise. Déjà je suis entré dans ma nouvelle voie, et j’y ai trouvé, dès les premiers pas, un soulagement et un contentement intérieurs que je n’espérais plus éprouver. De-