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FERNAND.

puis que je n’attends rien de la destinée et que j’ai renoncé à ma part de félicités en ce monde, j’ai perdu l’exaltation fiévreuse qui me consumait et recouvré du même coup le sentiment des mille petites joies que la nature prodigue à toute heure au cœur simple qui sait en jouir. À soigner l’ame d’Arabelle, je gagne d’échapper à la mienne, et je crois entrevoir que le secret du bonheur est de ne point le chercher pour soi-même. Quand la santé d’Arabelle sera rétablie, nous voyagerons : j’essaierai d’occuper ses jours et de la distraire ; je ferai mon devoir jusqu’au bout, sans me plaindre et sans murmurer. Je rougis à présent des excès auxquels je me suis laissé entraîner. Malheureux, je n’ai eu ni le courage d’accepter ma position ni l’énergie de m’y soustraire : j’ai reculé en même temps devant l’honneur et devant la honte. Je sais mes faiblesses ; je les déteste et je les abjure. Comment ai-je osé, par exemple, t’envoyer rôder autour de Mondeberre ? Comment, trop faible ami, t’es-tu prêté à mes lâches désirs ? Comment n’avons-nous pas compris l’un et l’autre que c’était outrager à la fois l’innocence et le malheur ? Ah ! tu l’as bien compris, toi ! mais tu as étouffé, pour me complaire, les répugnances de ton cœur ; tu n’as pas craint d’immoler à ma fantaisie la droiture de ton caractère. Noble et cher ami, tu n’aurais pas dit : — Enlevons Hermione. — Tu l’aurais enlevée. Je veux, cher Karl, me montrer digne d’une amitié si belle ; je veux, en ne restant point au-dessous de mon infortune, la rendre respectable et mériter l’estime autant que la pitié. Le Fernand que tu as connu a cessé d’exister ; je commence une seconde vie en expiation de la première.

IV.

Stériles regrets ! soins superflus ! réparation tardive ! Où trouverai-je la force et le courage d’écrire ce funeste récit ? Je le dois cependant, il le faut, afin que mon châtiment soit complet et que rien ne manque à ma honte.

Depuis quelques jours, la passion d’Arabelle avait tout d’un coup changé de caractère. Ce n’était plus l’exaltation de la douleur, ni l’affaissement d’un courage épuisé, ni l’attendrissement d’une ame qui pleure et s’appitoie sur elle-même ; c’était un désespoir immobile, silencieux et sombre. J’avais remarqué ces nouveaux symptômes, je commençais de m’en alarmer, lorsqu’un matin, comme nous étions enfoncés chacun dans un coin de la voiture, abîmés chacun dans nos