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REVUE DES DEUX MONDES.

que ce n’est plus le même prestige. Il n’est pas douteux que l’étranger de l’autre soir ne soit le fiancé d’Alice. Ce matin, je les ai vus passer tous deux, à cheval, dans le sentier du bord de l’eau. Je n’avais pas encore vu Mlle de Mondeberre en amazone : j’ai souffert de la voir ainsi. Je n’ai jamais aimé les femmes qui montent à cheval. On a remarqué, peut-être avec raison, qu’elles manquent en général de tendresse et de sensibilité. Il est très vrai qu’à cet exercice leurs graces primitives s’altèrent ; leur caractère, leurs goûts et leur allure y prennent quelque chose de hardi, de viril et d’aventureux qui les dépouille de leurs plus charmans priviléges. La bride et la cravache ne sont pas faites pour ces mains délicates ; le chapeau de l’homme ne sied point à ces aimables fronts. Et puis, comprends-tu que Mme de Mondeberre laisse ainsi sa fille courir les champs à l’aventure, en compagnie de ce jeune homme ? Tout ceci me gâte un peu mon paradis et mes deux anges.

LE MÊME AU MÊME.

Rien n’est changé dans ma vie. D’où vient donc que mon cœur est rempli d’allégresse ? Pourquoi triste hier et joyeux aujourd’hui ? Il faut toujours en revenir à cette exclamation banale : cœur de l’homme, abîme mystérieux !

Je me suis levé, ce matin, résolu, comme la veille, à ne point aller à Mondeberre. Le soir, j’ai pris, sans y songer, le sentier accoutumé, et suis arrivé à la porte du parc, décidé à ne point en franchir le seuil. Bref, je suis entré ; le parc était désert. J’allai droit au château, et trouvai au salon Mlle de Mondeberre seule avec l’étranger, tous deux au piano, à la fois riant, chantant et causant. Je crus comprendre que j’étais de trop, et je songeais à m’esquiver, quand Mlle de Mondeberre me retint et me présenta à M. de B., son cousin. Pour le coup, c’était un prétendu, car, de tout temps, les cousins ont plus ou moins épousé leurs cousines. Nous n’eûmes pas échangé vingt paroles, que je le tins pour un fat et un sot. Il est des hommes qu’on hait à première vue ; je sentis tout d’abord que je haïssais celui-ci. Il avait une certaine façon d’appeler Alice sa jolie cousine, qui me donnait envie de lui tordre le cou. En l’examinant bien, je lui trouvai une beauté vulgaire, sans ame et sans intelligence, une élégance prétentieuse, une jeunesse compromise par un menaçant embonpoint. Ses gestes, son maintien, son langage, tout en lui me