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REVUE DES DEUX MONDES.

sence pour pacifier votre tendresse et pour en calmer les orages ; d’une autre part, j’avais espéré de l’influence de ces campagnes pour reposer mon amour et pour en raviver les ardeurs ; je m’étais abusé. Votre tendresse s’est aigrie ; de mon côté, je n’ai retiré de la solitude que le sentiment réfléchi de mon impuissance et la résolution de ne plus m’exiler de ces lieux, où me fixent mes goûts paisibles et mes modestes ambitions. Ce n’est pas vous que je quitte, vous me serez éternellement chère ; c’est avec la passion que je romps, avec la vie de trouble et de désordre qui en est inséparable et qui répugne à tous mes instincts. Séparons-nous donc noblement, et qu’il ne se mêle point à nos larmes d’autre amertume que celle des regrets. N’imitons point ces amans opiniâtres qui ne brisent leur chaîne qu’après l’avoir arrosée de fiel et passent tout meurtris de l’amour à la haine, sans laisser place au souvenir. Ma résignation n’a rien qui vous doive outrager : je vous rends, jeune et belle, au monde où vous régnez ; j’ensevelis dans la retraite une jeunesse qui touche à sa fin, et dont vous aurez eu la plus belle part.

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Tandis que là-bas tu te couronnais de bleuets et de pâquerettes, voici ce qui se passait ici.

Hier, au saut du lit, sur le coup de dix heures, je venais d’achever la lecture de mon journal, et, dans cette position éminemment méditative qui consiste à se tenir assis sur le dos, je digérais nonchalamment les billevesées politiques et littéraires qu’on me sert chaque matin sous bande, en guise de déjeuner intellectuel, lorsque le jeune esclave qui cumule dans mon intérieur les fonctions de groom et de valet de chambre vint m’annoncer d’un air mystérieux qu’une dame voilée demandait à me parler. Ce ne pouvait être que Mme de Rouèvres : c’était elle. Elle se précipita comme une lionne dans mon cabinet, et sans me donner le temps de dire un mot : « Que se passe-t-il ? que fait Fernand ? pourquoi ne revient-il pas ? Vous le savez ; parlez, ne me cachez rien : la mort vaut mieux que l’incertitude dans laquelle je vis depuis ce funeste départ. » Sa voix était brève, son visage pâle, son regard fiévreux. J’essayai de la calmer ; mais elle m’interrompit aussitôt. « II ne m’aime plus ! il ne m’aime plus ! » Et se laissant tomber dans un fauteuil, elle éclata en sanglots. Bien que je