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FERNAND.

sois peu sensible aux émotions de cette nature, sa douleur me toucha. Je me décidai à mettre en jeu tout ce que le ciel m’a départi d’éloquence pour lui démontrer que tu n’avais point cessé de l’aimer. Mme de Rouèvres m’arrêta court, et je dus essuyer une bordée d’imprécations à ton adresse, dans lesquelles les noms d’ingrat, de parjure et de traître ne te furent point épargnés. Je pensai que tu avais porté le dernier coup, et que tout était fini. Il ne me restait plus qu’à prêcher la résignation. Je hasardai donc quelques maximes aussi neuves que consolantes sur l’instabilité des affections humaines ; mais à peine eut-elle compris où je voulais en venir, qu’elle se récria en demandant d’un ton superbe si je la jugeais indigne de ton cœur et de ton amour. Ne sachant plus à quel saint me vouer, je pris le parti de m’en tenir à mon rôle d’honnête homme, le plus simple et le plus facile en ceci comme en toutes choses. Comprenant enfin qu’en venant à moi, elle n’avait obéi qu’au pressentiment de sa destinée, je résolus, tout en ménageant son orgueil et son désespoir, de déchirer le voile que tu n’avais fait encore que soulever. Je commençai par protester de la sincérité de ta tendresse ; puis j’en vins doucement à lui laisser entrevoir que votre attitude vis-à-vis de M. de Rouèvres répugnait à la loyauté de ton caractère autant qu’à ton amour la vie de ruse et de duplicité que vous aviez dû vous imposer vis-à-vis du monde. Ici, nouvel embarras ! « N’est-ce que cela ? s’est-elle écriée ; je suis prête à lui tout sacrifier avec joie. Qu’il dise un mot ; honneur, fortune, considération, je foule tout aux pieds pour aller vivre seule avec lui au fond des bois. » À mon tour je me récriai ; je m’efforçai de lui faire entendre qu’on ne vit pas au fond des bois, que la passion n’est point éternelle, et qu’une heure arrive infailliblement où la raison reprend son empire. Mais voici bien une autre fête ! Voici qu’au plus bel endroit de mon sermon, on vient m’annoncer qu’un étranger est là, qu’il demande à m’entretenir, qu’il n’a pas un moment à perdre. Je me jette hors de mon cabinet, et me trouve nez à nez avec M. de Rouèvres, aussi grave, aussi froid, aussi calme que d’habitude. « Rien qu’un mot, me dit-il en refusant de s’asseoir. Ayant à vider une petite affaire, j’ai pensé qu’il ne vous déplairait pas de me servir de témoin. Ce soir, à huit heures, au bois de Vincennes, puis-je compter sur vous ? Toujours et partout, répondis-je. Cette affaire… — Est de celles qui ne s’arrangent pas. — Puis-je savoir ?… — Rien n’est plus simple. » Et là-dessus, de me raconter que la veille, dans un raout, en passant près d’un groupe de jeunes gens qui ne le soupçonnaient