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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

grossièreté repoussante des chanteurs ivres. Le Faust de M. Lenau se mêle à une danse de village, et, au lieu de se sentir soulever le cœur par les grossiers plaisirs que décrit le poète, il s’y jette ardemment. Toute cette scène est écrite avec une crudité vraiment brutale ; le pis est qu’on n’en voit pas le sens. Que dire aussi du tableau suivant, intitulé le Pauvre petit Abbé ? Dans la taverne où continue la danse, entre un passant, tenant une belle fille sous le bras. Ils prennent place et boivent joyeusement ; mais le chien de Faust, depuis leur entrée, n’a cessé de japper et de tourner avec inquiétude autour des nouveaux venus. Tout à coup il saute d’un seul bond sur la table et enlève à notre homme sa perruque frisée : qu’aperçoit-on ? une tonsure de prêtre. Voilà la première invention qui appartienne à M. Lenau ; je doute qu’on la trouve très heureuse. Que signifient ces grossières descriptions où sa plume se complaît ? Quel est le sens de ce conte voltairien jeté au milieu du drame ? quel est cet abbé ? d’où vient-il ? pourquoi l’auteur l’amène-t-il dans cette ignoble taverne ? quel est son rapport avec l’histoire de Faust ? Toutes ces questions demeurent sans réponse, et M. Lenau ne se soucie pas d’éclairer sa pensée, si pensée il y a. L’auteur imagine ensuite d’introduire Faust avec Méphistophélès dans les jardins du roi ; Méphistophélès engage le ministre à ne tenir aucun compte des droits et des besoins du peuple ; Faust promet un hymne où il chantera le mariage du prince qui sera célébré le lendemain, et devant toute la cour il récite deux couplets médiocres où le roi est tourné en ridicule. Mais que fais-je ? et pourquoi analyser cette œuvre stérile, où tout ce qui n’est pas emprunté sans discrétion est misérablement inventé ? Faust arrive chez des forgerons dans la forêt ; tandis qu’il veut séduire son hôtesse, une mendiante frappe à la porte, son enfant dans ses bras. Cette femme, c’est Faust qui l’a perdue, et cet enfant, c’est le sien. Faust devient pâle ; il jette sa bourse à cette femme, monte à cheval, et s’enfuit au galop. Comme il court à travers les bois, il approche d’un cloître ; c’est la nuit de la Saint-Jean : une procession d’enfans, de jeunes filles, de vieillards, traverse lentement et religieusement la forêt. L’éclat paisible des cierges, les sons pénétrans de la psalmodie émeuvent Faust jusqu’au fond des entrailles ; il laisse tomber sa tête dans ses mains et éclate en sanglots. Bientôt le voilà à la cour de la princesse Marie, fiancée au duc Hubert ; il séduit la princesse. Un peu plus loin, nous le rencontrons dans un bois, où il s’enivre avec son noir compagnon, et va criant à tous les échos : Je me suis donné au diable ! Enfin, lassé de