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REVUE DES DEUX MONDES.

— Monsieur, dit enfin Mme de Rouèvres, vous pouvez me tuer ; c’est votre droit, c’est votre devoir, ajouta-t-elle avec fermeté.

Entre le parti que conseillait l’égoïsme et celui que prescrivait l’honneur, M. de Peveney n’hésita point.

— Monsieur, dit-il, ce n’est qu’à moi seul que doivent s’adresser votre vengeance et votre ressentiment. Seul je suis coupable. C’est moi qui, à force de ruse et d’adresse, suis parvenu à détourner Mme de Rouèvres de la ligne de ses devoirs ; c’est moi qui l’attirai dans un piége, moi qui l’entraînai à sa perte. Je sais par avance tout ce que vous pouvez me dire là-dessus ; ma vie vous appartient, lavez votre honneur dans mon sang.

Arabelle poussa un cri d’effroi et fit un mouvement pour se jeter entre son amant et son mari. M. de Rouèvres l’arrêta.

— Calmez-vous, madame ; vous aussi, monsieur, calmez-vous, dit-il avec un imperturbable sang-froid. Nous sommes entre gens comme il faut : s’il vous plaît, nous réglerons nos comptes sans scandale et sans bruit. Veuillez donc vous asseoir et m’écouter tous deux, car il est indispensable que vous entendiez l’un et l’autre ce qu’il me reste à dire à chacun de vous en particulier.

Ce disant, il prit un siége, et se tournant d’abord vers Arabelle, sans ironie, sans morgue et sans humeur, mais avec l’aisance et le savoir-vivre que donne une longue habitude du monde, de ses lois et de ses usages :

— Madame, lui dit-il, je vais bien vous surprendre : je ne vous tuerai pas, je m’abstiendrai de toute plainte et de tout reproche ; je tiens même à savoir si je n’ai pas à vous adresser des excuses, car je m’y croirais obligé dans le cas où, par quoi que ce soit dans ma conduite, j’aurais eu le malheur de justifier la vôtre. C’est vous-même que j’en ferai juge.

À ces mots, Fernand se leva.

— Il est, dit-il, pour le moins inutile que j’assiste à ces explications ; permettez que je me retire.

— Restez, monsieur, restez, répliqua M. de Rouèvres avec autorité. Je serai bref ; dans un instant, je suis à vous.

M. de Peveney s’étant rassis, M. de Rouèvres poursuivit en ces termes :

— Peut-être, madame, n’avez-vous pas oublié quelle était votre destinée, lorsque j’eus l’honneur de vous offrir la mienne en partage. Nos pères s’étaient connus dans l’émigration. Le vôtre ne devait vous laisser, en mourant, qu’un nom sans tache pour unique héritage. Il