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FERNAND.

M. de Peveney passa-t-il de la prière à l’emportement, en vain parla-t-il en maître et en esclave ; il ne put ni la dompter ni la fléchir.

— À quoi bon tous ces discours et pourquoi vous donner tant de mal ? s’écria-t-elle avec un sang-froid plus terrible que la colère ; je ne vous demande point d’égards ni de pitié. Encore une fois ce n’est pas d’une affaire d’honneur qu’il s’agit ici, non plus que d’un cas de conscience. M’aimez-vous ou ne m’aimez-vous plus ? Oui ou non, et tout sera dit.

Poussé à bout, M. de Peveney ne retint plus la vérité prête à s’échapper, comme un glaive, de sa poitrine ; mais au premier mot qui sortit de sa bouche, il s’arrêta court, et Mme de Rouèvres frissonna comme une biche qui, du fond des bois, entend résonner le cor des chasseurs.

Un bruit de pas montait dans l’escalier. Prompt comme la pensée, M. de Peveney se précipita vers la porte. Au même instant, cette porte s’ouvrit, et Fernand se trouva face à face avec un personnage qu’il n’attendait pas.

— Je regrette, monsieur, dit le malencontreux visiteur, d’entrer ainsi à l’improviste ; mais la faute en est à vos gens. Depuis près d’une heure que je suis votre hôte, j’aurais pu croire la maison inhabitée, si les éclats de votre voix ne fussent parvenus jusqu’à moi. Comme je ne suis pas tout-à-fait étranger à ce qui se passe céans, et que vos affaires sont à peu près les miennes, j’ose espérer que vous voudrez bien, madame et vous, excuser ce que mon apparition peut avoir de brusque et d’imprévu.

À ces mots, il fit quelques pas en avant et salua Mme de Rouèvres. Fernand était toujours à la même place, debout et immobile. Assise sur le divan, Arabelle n’avait point changé d’attitude : pâle, les yeux baissés, mais sans émotion apparente, si bien que, la voyant sans peur, on l’aurait pu croire sans reproche. Entre elle et lui, le nouveau venu se tenait impassible et grave. C’était un homme qui pouvait avoir près de quarante ans. L’élégance sévère de son costume s’harmoniait avec la froide politesse de son langage et de ses manières. Quand même les lignes de sa figure n’eussent point trahi le pur sang des aïeux, ses gestes et son maintien auraient suffi pour révéler la présence d’un gentilhomme. Il était d’ailleurs impossible de lire sur le marbre de son visage ce qui s’agitait dans son cœur. Nul au monde, en le voyant ici pour la première fois, n’aurait pu raisonnablement supposer qui était cet homme, quel dessein l’amenait, quel rôle il allait jouer dans ce drame.