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l’heure de la retraite. Pour premier plan, il aurait un gros chebek arabe, couleur de bois, bien assis sur une eau transparente, un peu plus loin les filets à bascule qui se lèvent et s’abaissent au milieu d’une nuée d’oiseaux aquatiques, à droite les cocotiers verdoyans penchés sur un sable argenté, et tout au fond, derrière une double ligne de récifs sur laquelle brise incessamment le flot de l’Océan, luttant avec celui de la rivière, quelque grand navire à trois mâts aux vergues bien alignées dessinant son réseau de cordages sur le disque d’un soleil rayonnant à moitié caché dans la mer.

On peut considérer comme cabotage ces voyages qui consistent à courir droit sur une terre que l’on abordera un peu plus haut, un peu plus bas, à l’aide d’un vent régulier et de la boussole ; d’ailleurs, les hautes montagnes des Gauths, facile à voir de loin par un temps clair, les petits serpens rayés de jaune et de noir qui se tiennent à une distance connue de la côte de Malabar, et d’autres indices, servent à faire distinguer au pilote le voisinage de la presqu’île. Mais doubler la pointe de Ceylan et remonter au Bengale, c’est là la traversée de long cours, et les Arabes l’effectuent périodiquement chaque année avec de grands et beaux trois-mâts. Partis en octobre des ports de Moka, de Djiddah, dans lesquels il ne reste pas une seule barque à cette époque, de Mascate et de divers points de la même contrée, ces navigateurs arrivent aux bouches du Gange à la fin des vents du sud-ouest, souvent après avoir touché à quelque endroit de la côte opposée. Ce qu’ils fournissent au Bengale, c’est le café de l’Yémen, et surtout le sel, dont le gouvernement se réserve le monopole[1], aussi quelques dattes et des chevaux de prix ; en échange de quoi ils prennent le sucre et les autres productions dont nous avons parlé plus haut. Pour la plupart, ils achètent le droit de porter le pavillon de la compagnie, et gagnent à cela d’être admis à des conditions plus favorables sur tous les marchés de l’Inde, ceux de Ceylan exceptés, cette île relevant de la couronne. Une grande partie des bâtimens employés aux voyages du Bengale sont d’anciens ships de la compagnie, d’un très fort tonnage. Quelques-uns, affectant la forme dite grab, se font remarquer par l’absence de la poulaine, que remplace une saillie avancée ; il faut remonter aux tableaux de Claude Lorrain pour trouver des navires de ce type suranné. Une fois entré

  1. On sait que le gouvernement de l’Inde paie à nos petits établissemens français la somme annuelle de quatre laks de roupies (un million de francs) pour qu’ils s’abstiennent du commerce du sel et de la culture de l’opium.