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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

dans le port, dont il ne sortira qu’à la mousson nouvelle, le soigneux capitaine fait dégréer son bâtiment ; les mâts sont calés, les vergues amenées sur le pont, ses femmes conduites à terre dans une maison louée à cet effet, car le riche musulman ne s’absente pas si long-temps du logis sans emmener son sérail à sa suite. Aussi les fenêtres de la dunette sont garnies d’un étroit grillage, et deux serviteurs veillent, durant la traversée, dans le passage qui sépare la galerie des chambres du fond. Assurément, ce n’est pas pour leur plaisir que ces houris sont transportées aux bords du Gange ; des palanquins recouverts d’une housse traînante les voiturent du bord au harem, où elles restent confinées tristement comme des marchandises à l’entrepôt. Pendant ce temps, sous la direction des officiers ou ma’alim assis à l’ombre et fumant avec gravité le houkka indien, les matelots travaillent. Il y en a de toutes couleurs, de tout âge, de tous les coins de l’Afrique, appartenant pour la plupart au capitaine, dont ils sont les esclaves. Leur besogne de chaque jour est réglée ; aussi, comme ils hurlent leur monotone refrain : Salamalek a’yari, salut à toi, palan, à mesure que sous l’effort de leurs bras nerveux les ballots sortent de la cale, en montrant la poulie qui les hisse ! Certes, il n’y a pas au monde de gens plus criards que ces matelots de la mer Rouge. À Suez, ils ne peuvent donner un coup d’aviron sans laisser tomber d’une voix creuse, pareille aux sons de la cloche, d’inintelligibles syllabes, écho régulier du chant que lance le mousse avec son timbre argentin, et la passion des noirs pour la cadence est si grande, que, quand l’un d’eux quitte le groupe pour aller au bout du navire, il court en frappant ses mains, en marquant la mesure avec ses pieds. La tâche du jour est-elle finie, tout l’équipage se munit du bâton blanc qui est le signe du repos, et les habitans d’un même navire, descendant à terre, se promènent dans les rues populeuses de Calcutta par longues files, pour ne pas se perdre ; ils s’en vont silencieux, car le travail ne les anime plus, à travers les bazars, visitant les mosquées, saluant un faquir ridé accroupi sur sa natte, jusqu’à l’heure où il faut revenir pour souper avec de l’eau et des dattes. Un marin anglais sortant de la taverne, un marin français courant du café à la case des bayadères, celui-ci avec son jonc des îles, celui-là avec son poing fermé, donnent plus d’embarras aux gardiens de la police que ces équipages musulmans souvent composés de soixante hommes. Mahomet a mieux réussi avec un verset du Koran que toutes les sociétés de tempérance, malgré leurs écrits