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sur les vergues dégarnies, et le matelot choulia répare ses voiles, caché dans sa hutte. Plus heureux que celui d’Europe, le marin de l’Inde écoute sans inquiétude gronder l’orage, souffler la tempête qu’il a prévus et qu’il a jugé prudent de ne pas affronter ; il revient chaque année à sa cabane manger ses fruits et cultiver son champ et, comme la crainte d’être pris pour le service militaire, de passer sur un vaisseau de l’état qu’il n’a pas choisi, ne le préoccupe pas dans son repos, il ne se croit pas obligé de dévorer en un jour le salaire d’une année ; le temps des pluies lui appartient tout entier.

Ainsi, comme les Arabes, les Hindous ont leurs grands navires, mais pauvrement équipés, mal gréés, souvent si usés, qu’ils font eau de toutes parts ; nous parlons ici de ceux qui sont construits ou au moins montés et conduits entièrement par des navigateurs de la côte, et non des beaux bâtimens (country-ships) appartenant à des Guèbres, à des Arméniens, à des musulmans, à de riches Banians, et qui fréquentent tous les ports de l’Asie sous la direction de capitaines portugais ou anglais. L’Arabie indépendante fait son commerce elle-même ; l’Inde, soumise à un joug étranger, abandonne à une nation toute puissante ses plus importantes transactions ; il ne lui reste guère à faire que le cabotage, c’est-à-dire à retirer de petits profits de l’alimentation des villes modernes de son littoral. De nos jours aussi, comme au temps de l’empire romain, au lieu de porter bien loin ses produits, elle les vend à qui vient les prendre.

Pour résumer ce que nous venons de dire, plaçons-nous par la pensée, à l’extrémité de la presqu’île indienne, et examinons ses deux rives. La côte occidentale fait face à l’Arabie civilisée des temps primitifs, baignée par deux golfes qui conduisaient aux plus anciennes et aux plus puissantes villes du vieux monde. La côte orientale n’a devant elle, à de grandes distances, que des îles clair-semées et une langue de terre habitée par des peuples qui ne participaient en rien au développement des nations environnantes. De bonne heure, les Arabes parurent dans les ports du Deccan et du Malayalam, à une époque où aucun navire étranger ne visitait sans doute la triste plage de Coromandel. D’où serait-il venu ? Les Chinois, qui parlent de pèlerins bouddhistes envoyés à Ceylan, les font toujours voyager par terre. Les Mogols musulmans se trouvèrent liés, par la parité de croyance, avec les pays situés au-delà de la mer d’Oman, et avant l’arrivée des Européens il n’y avait pas de ville importante à l’embouchure du Gange ; donc les relations entre les Arabes et le Bengale étaient alors fort rares, et, quand elles devinrent plus fréquentes, les