Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1015

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1011
DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

pas accoutumé à cette idée qu’on peut le guillotiner dans le plus prochain quart d’heure ne jouera jamais un grand rôle dans notre temps ! » Quoi ! tout cela, pour la prison de Mannheim ! C’est faire sonner terriblement son martyre. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié ce personnage d’un spirituel roman enfermé pendant vingt-quatre heures pour une émeute, et si fier d’avoir vu les cachots ! C’est à regret vraiment que je signale tant de ridicules. Pour retrouver ce qu’il y avait de sérieux dans les persécutions de la jeune Allemagne, j’ai besoin de me tourner encore vers M. Wienbarg ; c’est lui qui est le représentant unique des bonnes et légitimes tendances de cette époque ; et, tandis que M. Gutzkow exploitait avec une emphase plaisante les persécutions inutiles et brutales de la diète, M. Wienbarg, arrivé à Altona après tant de fatigues et de tracasseries, écrivait son voyage et ces fermes pages de la préface où respire, dans une mâle simplicité, toute la noblesse de son cœur.

M. Gutzkow a tenté deux fois la gloire : il a voulu imiter Byron et égaler Armand Carrel. Il s’est trompé deux fois. Il n’est ni un poète ni un tribun. La poésie demande un esprit plus élevé, une ame plus chaleureuse. Quant à l’influence politique, ce n’est pas, comme le disent ses amis, un théâtre seulement qui lui a manqué pour qu’il ait pu l’atteindre ; ce qui lui a surtout fait faute, c’est la fermeté de l’esprit et la force de l’intelligence. Il reste à M. Gutzkow une habileté de plume incontestable, une certaine verve de contradiction, un certain sens critique, inégal, paradoxal, quelquefois grossier, quelquefois fin et subtil, mais toujours hargneux, jaloux, amer, et qui blesse les lecteurs. Il pourra écrire des pages ingénieuses sur Goethe, et des réflexions de la dernière médiocrité sur la philosophie de l’histoire. Au théâtre, où nous le retrouverons bientôt, il pourra composer des drames dans lesquels l’âpreté assez vive de son esprit remplacera la poésie et l’imagination ; mais il faut qu’il renonce décidément à la gloire politique. En publiant, il y a deux ans, ses lettres écrites de Paris (Briefe aus Paris), il a achevé de donner sa mesure. Les spirituelles pages où notre ami M. de Lagenevais a châtié, ici même, la fatuité du touriste allemand, me dispensent d’insister davantage. Je n’ajoute qu’un mot : ces Lettres sur Paris terminent dignement la carrière politique de M. Gutzkow, et après de si hautes prétentions, après l’emphase des premiers débuts, il est convenable que le publiciste vienne ramasser à Paris les plus sots caquetages, les plus ridicules propos d’antichambre, et traiter avec tant de superbe un peuple qu’il n’a jamais connu ! Ce théâtre qu’il cherchait, M. Gutzkow l’a